Occupation du domicile à des fins professionnelles


A l’heure de la dématérialisation et du télétravail (« home office » pour nos amis d’outre-Manche) se pose la question de savoir dans quelle mesure cette organisation du travail peut être imposée au salarié et, surtout, comment elle doit être indemnisée. 

La Cour de Cassation considère de longue date que « l’occupation, à la demande de l’employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n’entre pas dans l’économie générale du contrat de travail ».

Elle en déduit que si le salarié, « qui n’est tenu ni d’accepter de travailler à son domicile, ni d’y installer ses dossiers et ses instruments de travail », accède à cette demande, l’employeur « doit l’indemniser de cette sujétion particulière ainsi que des frais engendrés par l’occupation à titre professionnel du domicile » (Cass. Soc., 7 avril 2010, n° 08-44.865).
Cette indemnisation doit prendre en compte, d’une part les frais proprement dit occasionnés par le travail à domicile, qui sont assez aisément et objectivement quantifiables (outils de travail, quote-part de loyer ou de la valeur locative, pourcentage de frais d’électricité, de connexion internet,…) et, d’autre part, le dédommagement de l’atteinte à la vie privée.
 

C’est là que cela se complique.
 

C’est sur cette question que s’est prononcée la Cour de Paris (CA Paris, Pôle 6, ch.11, 24 février 2017, n° 14/02059) à propos d’une catégorie de personnel particulièrement concernée par cette problématique puisqu’il s’agissait de VRP de la société L’Oréal qui étaient amenés, de par leurs fonctions, à stocker des documents nécessaires à leur activité.

Le désaccord entre les parties ne portait pas sur le principe d’une indemnisation, qui était admis par l’entreprise, mais sur le montant de celle-ci : les VRP se plaignaient du fait que, pour une surface mobilisée identique de leur domicile, ils percevaient une indemnisation moindre que celle accordée à une autre catégorie de salariés de l’entreprise, les Directeurs Régionaux.
 

Pour justifier cette différence de traitement, l’employeur soutenait que l’indemnité allouée ne devait pas être calculée uniquement par rapport au critère mathématique de la surface du domicile personnel réservé au travail mais, aussi, par rapport au temps passé à travailler au domicile.
 

La Cour d’appel valide cette thèse : si l’indemnisation doit être fonction de la surface consacrée au travail (qu’il s’agisse d’un lieu de stockage ou d’un poste de travail), il faut aussi tenir compte de la durée, plus ou moins longue, passée par le salarié à travailler chez lui. Or en l’espèce, il était acquis (aux termes d’une expertise menée par la CHSCT) que les Directeur Régionaux passaient beaucoup plus de temps à travailler à leur domicile que les VRP, ce qui justifiait qu’ils soient mieux indemnisés, du fait d’une plus grande immixtion dans leur vie privée.
 

Ainsi se trouve consacré le principe selon lequel l’indemnité allouée dédommage moins l’occupation matérielle du domicile, que l’intrusion plus ou moins prolongée ou répétée du travail dans la sphère privée du salarié : l’importance de l’indemnisation dépendra de l’intensité de l’occupation du domicile à des fins professionnelles.


Me Manuel Dambrin


18 mai 2017