Le recours du salarié licencié en procédure collective contre le tiers responsable


Un salarié licencié pour motif économique à la suite de l’entrée de son employeur en procédure collective peut-il demander réparation de son préjudice à un tiers dont le comportement fautif est responsable de la déconfiture de l’entreprise ?

Cette question, à la croisée du droit des entreprises en difficulté et du droit du travail, n’est pas sans conséquence pour les salariés licenciés, puisqu’une réponse affirmative leur permettrait d’obtenir une indemnisation au-delà de la seule procédure prud’homale directement intentée contre l’ancien employeur, et donc, in fine, plus importante.

Une réponse opportune est apportée par l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation rendu le 2 juin 2015, qui se place en faveur d’une telle indemnisation pour le salarié (Cass, Com., 2 juin 2015, n° 13-24.714).

En l’espèce, à la suite d’un montage financier frauduleux mis en place par une banque pour lui octroyer des crédits ruineux, une société est placée en redressement judiciaire et un plan de cession partielle prévoyant le licenciement de 600 salariés est arrêté.

Parallèlement, le commissaire à l’exécution du plan assigne la banque fautive en responsabilité civile pour octroi des crédits ruineux. Cent-neuf des salariés licenciés décident alors d’intervenir volontairement à la procédure afin d’obtenir réparation des préjudices consécutifs à la perte de leur emploi, à savoir la perte pour l’avenir des rémunérations qu’ils auraient pu percevoir, et l’atteinte à leur droit de voir leurs chances de retrouver un emploi optimisées, faute d’avoir pu bénéficier d’une formation qualifiante.

La Cour d’appel déclare cette intervention volontaire irrecevable au motif que les préjudices subis par les salariés sont inhérents à la procédure collective (puisqu’ils en sont la conséquence directe) et qu’ils sont subis indistinctement et collectivement par l’ensemble des créanciers. Dès lors, la réparation de ces préjudices relèverait du monopole du commissaire à l’exécution du plan.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation n’est pas de cet avis, et juge que « l’action en réparation des préjudices invoqués par les salariés licenciés, étrangère à la protection et à la reconstitution du gage commun des créanciers, ne relevait pas du monopole du commissaire à l’exécution du plan ». Ainsi, les salariés étaient fondés à demander la réparation de leur préjudice devant les juridictions ordinaires, hors du cadre de la procédure collective.

Par ailleurs, elle ajoute que le fait que leur préjudice ait déjà été réparé par l’allocation d’indemnités de rupture à l’occasion d’une action prud’homale antérieure, ne rend pas irrecevable la demande de réparation du second préjudice, laquelle pourrait, a priori, être examinée.

Ainsi, bien qu’elle ne statue naturellement pas sur le bien-fondé de la demande indemnitaire des salariés licenciés (la Cour de cassation étant juge du droit, il ne lui appartient pas de déterminer si, en l’espèce, la banque est effectivement responsable de leur préjudice), elle affirme clairement la recevabilité procédurale de principe d’une telle action (ce qui ne préjuge toutefois pas de son issue).

Deux conséquences principales sont à noter : d’abord, l’extension considérable du champ de l’action en responsabilité intentée par le salarié licencié pour motif économique, qui peut désormais agir en dehors des limites de la procédure prud’homale s’il estime que son licenciement a pu être causé, même de manière indirecte ou diffuse, par un tiers qui aurait crée par son comportement la situation rendant nécessaire le licenciement économique.

Ensuite (et c’est le corollaire de la première conséquence) l’augmentation des perspectives indemnitaires du salarié, qui peut maintenant, si les circonstances le permettent, former plusieurs actions simultanément devant plusieurs juridictions différentes (prud’homales d’une part et de droit commun d’autre part), et donc, si celles-ci aboutissent, obtenir une meilleure réparation.

Me Manuel Dambrin et Monsieur Hugo Tanguy, élève avocat.


26 juin 2015