Les clauses abusives dans les contrats entre commerçants
Les clauses abusives sont définies par l’article L. 132-1 du Code de la consommation, aux termes duquel : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
Le Code de la consommation distingue deux catégories de clauses :
- Celles qui sont présumées abusives : en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.
- Celles qui, compte tenu de la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat, doivent être regardées comme abusives de manière irréfragable.
Ces deux catégories de clauses sont énumérées aux articles R. 132-1 (liste des clauses expressément abusives) et R. 132-2 (liste des clauses simplement abusives) du Code de la consommation et sont régulièrement mises à jour.
Malgré la clarté de sa rédaction, qui ne concerne que les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, la question s’est longtemps posée de savoir si les dispositions de l’article L. 132-1 du Code de la consommation pouvaient trouver application dans les relations entre professionnels.
L’arrêt rendu par le Cour de cassation commenté ci-après vient mettre un terme aux interprétations en posant une solution claire et de bon sens.
Les faits de l’espèce étaient les suivants : une société d’importation et de transformation de bois de construction a fait installer un système de télésurveillance dans l’un de ses établissements par une société spécialisée dans le domaine des systèmes d’alarme et de vidéo surveillance. Après plusieurs cambriolages, elle l’a assignée en responsabilité. Elle a été déboutée de son action sur la base d’une des clauses du contrat liant les deux sociétés, aux termes de laquelle la société de surveillance n’était liée par aucune obligation de résultat auprès de la société de transformation de bois de construction. Cette dernière a soutenu que cette clause était abusive et devait être frappée de nullité.
Par un arrêt du 3 décembre 2013 (Cass. com., 3 décembre 2013, pourvoi n° 12-26.416 : ici), la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que « les dispositions de l’article L. 132-1 du code de la consommation ne s’appliqu[ai]ent pas aux contrats de fourniture de biens ou de service conclus entre sociétés commerciales ».
Cette solution n’est pas nouvelle (1.). Elle appelle néanmoins certaines observations (2.).
1. Une solution conforme à l’état de la jurisprudence
Par un arrêt du 11 décembre 2008, la Haute juridiction avait déjà jugé « que les dispositions du texte susvisé [article L. 132-1 du code de la consommation] ne s’appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services conclus entre sociétés commerciales »(Cass. com., 11 décembre 2008, pourvoi n° 07-18128).
Elle réitéra cet attendu de principe par deux arrêts du 6 septembre 2011 (Cass. com., 6 septembre 2011, pourvois n° 10-21.583 et 10-21.584, à propos de l’article L. 136-1 du code de la consommation).
Il s’ensuit que l’arrêt précité du 3 décembre 2013 s’inscrit dans un courant jurisprudentiel excluant sans ambiguïté les sociétés commerciales du champ d’application rationa personae de la protection instituée au bénéfice des consommateurs et non-professionnels.
On rappellera que, par le passé, la Cour de cassation autorisait les sociétés commerciales à se prévaloir de cette protection dès l’instant où le contrat conclu n’avait pas un « rapport direct » avec l’activité professionnelle de celui qui l’invoque (Cass. civ. 1ère, 3 janvier 1996, pourvoi n° 93-19.322).
Ce « rapport direct » reçut cependant une acception large. Ainsi jugé qu’un contrat de location de matériel téléphonique a un rapport direct avec l’activité professionnelle d’un fabricant de bracelets en cuir (Cass. civ. 1ère, 5 novembre 1996, pourvoi n° 94-18.667).
Les sociétés commerciales pouvaient donc difficilement, même avant l’arrêt du 11 décembre 2008, prétendre au bénéfice des dispositions protectrices du code de la consommation.
Le droit de l’Union européenne, qui ne connaît pas la notion de « non-professionnel », réserve quant à lui le bénéfice du droit de la consommation à la seule catégorie de consommateurs qui « doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques » (CJUE, 22 novembre 2001, C-541/99).
2. Une solution dont la portée est à nuancer
Tout d’abord, si les sociétés commerciales sont exclues du bénéfice des dispositions consuméristes, il en va autrement d’un syndicat de copropriétaires, personnes morale, qui peut lui s’en prévaloir (Cass. civ. 1ère, 23 juin 2011, pourvoi n° 10-30.645), ou encore d’une société civile, laquelle n’exerce pas une activité commerciale.
Ensuite, l’article L. 442-6 du Code de commerce reprend, au bénéfice des commerçants, une protection analogue à celle offerte par le Code de consommation.
Aux termes du 2° de cet article, engage ainsi la responsabilité de son auteur le fait « [d]e soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Cette formulation reprend à l’identique l’article L. 132-1, al. 1er du Code de la consommation qui dispose que « sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »
La non-applicabilité de l’article L. 132-1 du Code de la consommation dans les relations entre commerçants ne signifie donc pas que « tout est permis » entre eux, mais seulement que le commerçant lésé devra prouver une faute (soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséqsuilibre significatif dans les droits et obligations des parties), un préjudice et un lien entre les deux.
Autant dire que, privé des listes de clauses réglementaires du Code de la consommation, il faut repartir de zéro sans bénéficier de la force de dispositions qui instaurent une présomption ou une irréfrégabilité de caractère illégal. Elles n’en seront pas moins utiles, à titre d’analogie, les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Soulignons, enfin, une différence concernant la sanction des dispositions contractuelles induisant un « déséquilibre significatif » : le commerçant lésé se verra alloué une indemnisation de son préjudice, tandis que les consommateurs et non-professionnels peuvent obtenir que la clause litigieuse soit réputée non écrite.
Me Xavier Chabeuf
02 février 2014