Souriez, vous êtes écouté !


Devant la juridiction prud’homale, la preuve est dite « libre », c’est-à-dire que les faits allégués peuvent être prouvés par tous moyens, par opposition au système de la preuve dite « légale » qui suppose que la preuve de certains actes ne puisse être apportée que par des moyens prédéterminés par la loi (par exemple un procès-verbal pour établir une infraction ou un testament pour établir les volontés du défunt).

C’est ce qu’exprime l’article 1358 du Code civil avec une concision parfaite : « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen ».

Mais « preuve libre » ou « preuve par tout moyen » ne signifie pas que tous les modes de preuve sont admis.

Avec l’avènement des moyens de communications modernes et des outils numériques, les juges sont de plus en plus confrontés à la production d’enregistrements audio, photo ou vidéo que les salariés ou les employeurs versent aux débats pour prouver leurs prétentions ou faire obstacle à celles leur adversaire.

La question se pose alors de l’admissibilité de ces preuves le plus souvent collectés à l’insu de la personne à qui on les opposent, voire par des stratagèmes (filature).

Traditionnellement, la clandestinité du procédé faisait échec à son exploitation en justice (sauf en matière pénale) et il était jugé que la preuve ainsi recueillie était illicite ou déloyale et ne pouvait être admise au soutien des prétentions.

En 2020, au visa des articles 8 et 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme relatifs au droit à un procès équitable, la Chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un premier revirement en autorisant, dans certaines conditions, la production de preuves illicites (cass. soc. 25 novembre 2020, n° 17-19523 FPPBRI ; cass. soc. 30 septembre 2020, n° 19-12058 FSPBRI ; cass. soc. 10 novembre 2021, n° 20-12263 FSB).

Puis, le Rubicon a été franchi par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans son arrêt du 22 décembre 2023 (n° 20-20648 BR).

Par cette décision, les hauts magistrats décident que « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats » et que le « droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à la condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

La preuve illicite ou déloyale est désormais admise sous deux conditions qui devront être appréciées au cas par cas par le juge :

  1. La production de cette preuve déloyale doit être indispensable à l’exercice des droits de la défense ou au succès de la demande. Autrement dit, le juge devra vérifier s’il n’existait pas à la disposition du plaideur des moyens de preuve tout aussi efficace mais plus respectueux de la vie personnelle ;
  2. L’atteinte que cette production est susceptible de porter aux droits essentiels doit être strictement proportionnée au but poursuivi. Autrement dit, le juge devra effectuer un arbitrage en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence (vie privée, confidentialité des correspondances, droit à l’image, …).

Me Manuel Dambrin


06 juillet 2024