Quand la générosité du client passe par la caisse… de l’URSSAF


Les pourboires laissés par les clients sont-ils soumis à cotisations sociales ? La question est moins folklorique qu’elle n’y paraît. Car si la tradition de la pièce glissée dans la soucoupe a la vie dure, les usages professionnels – et les moyens de paiement – ont, eux, bien évolué.

Le Code de la sécurité sociale distingue deux régimes selon le rôle de l’employeur dans la redistribution des pourboires :

  • Si l’employeur intervient dans la collecte et la répartition, il connaît le montant des sommes perçues. Celles-ci doivent alors être déclarées pour leur montant réel et intégrées dans l’assiette des cotisations.
  • S’il n’intervient pas, et ignore les montants perçus par les salariés, une base forfaitaire peut s’appliquer (en vertu d’un arrêté du 14 janvier 1975).

Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 juin 2025 (2e chambre civile, n° 23-13.543).

Dans cette affaire, un employeur du secteur de la restauration avait mis en place, sur ses terminaux de paiement, la possibilité pour les clients d’ajouter un pourboire par carte bancaire. Ces sommes, versées volontairement en sus du règlement, étaient ensuite centralisées par la société sur un compte temporaire, avant d’être redistribuées aux salariés concernés.

Mais l’URSSAF, estimant que ces sommes devaient être considérées comme des compléments de rémunération, les a réintégrées dans l’assiette des cotisations sociales. Une décision validée par la cour d’appel, puis contestée par l’employeur devant la Cour de cassation.

La Haute juridiction rejeta le pourvoi en cassation : les pourboires versés par carte bancaire, lorsqu’ils sont collectés puis redistribués par l’employeur, doivent être soumis aux cotisations sociales selon leur montant réel. Peu importe qu’il s’agisse de la volonté des clients ou d’un usage de la profession : en intervenant dans la collecte et la répartition, l’employeur a connaissance des sommes en jeu. Il ne peut donc se prévaloir d’un assujettissement forfaitaire.

Cet arrêt ne bouleverse pas le droit existant, mais en rappelle l’application rigoureuse à des pratiques de plus en plus répandues. Le recours aux pourboires dématérialisés ne permet pas à l’employeur de s’affranchir de ses obligations déclaratives.

Et la sanction n’est pas seulement sociale : dans certains cas, si l’omission est intentionnelle, elle peut caractériser le délit de travail dissimulé. Ainsi, par un arrêt du 1er décembre 2015, la Cour de cassation a-t-elle confirmé la condamnation d’un restaurateur pour travail dissimulé : les pourboires, bien que laissés volontairement par les clients, avaient été centralisés, gérés et partiellement retenus par l’employeur dans une logique de management. Ces sommes, assimilées à des compléments de rémunération au sens de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, auraient dû figurer sur les bulletins de paie et être soumises à cotisations (Crim., 1er déc. 2015, n° 14-85.480).

Me Manuel Dambrin


14 juillet 2025