Licencié pour « désalignement culturel » … puis réintégré

C’est l’épilogue de l’affaire « Fun & Pro » qui donnait à juger le cas d’un licenciement prononcé en violation de la liberté d’expression, liberté fondamentale, inscrite dans la Constitution et protégée par le Code du travail.
Dans cette affaire, le salarié avait été engagé en 2011 par la société de conseil Cubik Partners. Quatre ans plus tard, en mars 2015, il avait été licencié pour insuffisance professionnelle, au motif notamment d’un « désalignement culturel profond » et d’un défaut d’appropriation des valeurs « fun & pro » de l’entreprise.
Or, quelques jours avant sa convocation à un entretien préalable, l’intéressé avait adressé à son employeur un courrier dénonçant des pratiques qu’il considérait comme nuisibles à sa santé et contraires à sa dignité : alcoolisation lors de séminaires, pratiques humiliantes et pressions liées à la diminution de sa rémunération et de ses missions.
Le salarié avait saisi le Conseil de prud’hommes pour obtenir, à titre principal, la nullité de son licenciement, au motif qu’il sanctionnait l’exercice de sa liberté d’expression et la dénonciation d’agissements qu’il estimait constitutifs de harcèlement moral. Débouté en première instance (2018) puis en appel (2021), il obtenait de la Cour de cassation, en 2022, la censure partielle de la décision d’appel et le renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Paris.
Il soulignait la proximité chronologique entre son courrier du 19 février 2015 et la convocation à entretien préalable intervenue cinq jours plus tard, ainsi que la référence directe, dans la lettre de licenciement, à certains passages de son écrit. L’employeur soutenait, au contraire, que la rupture reposait uniquement sur des griefs professionnels, sans lien avec l’expression d’opinions ou la dénonciation de faits litigieux.
La thèse du salarié l’emporta.
Dans son arrêt du 30 janvier 2024 (n° 23/00942), la Cour d’appel de Paris a relevé que la procédure de licenciement avait été engagée à peine cinq jours après que le salarié avait adressé à son employeur un courrier dénonçant ses conditions de travail et les pressions subies, qu’il considérait comme relevant d’un harcèlement moral. Considérant que cette dénonciation avait manifestement pesé sur la décision d’engager, à très court terme, la procédure de rupture, et que la lettre de licenciement y répondait expressément, la Cour a jugé que le lien de causalité entre la dénonciation du salarié et la décision de licenciement était caractérisé, entrainant la nullité du licenciement.
En application de la théorie de l’« effet contaminant », le seul grief lié à cette dénonciation suffisait à entraîner la nullité du licenciement, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres motifs invoqués.
Le licenciement étant déclaré nul et le salarié ayant sollicité sa réintégration (plutôt qu’une simple indemnisation) la Cour fit droit à cette demande et condamna l’employeur à lui verser près de 500 000 € au titre des salaires échus entre la demande de réintégration (28 septembre 2018) et la décision la prononçant (30 janvier 2024).
Me Manuel Dambrin
10 septembre 2025