Divorcés pour la vie

On est souvent surpris de constater que des questions qui devraient être élémentaires – et tranchées clairement de longue date – donnent encore lieu à controverse.
Il en va ainsi dans l’affaire ici examinée, qui concernait la question de la date à laquelle le mariage se trouve définitivement dissous, sujet évidemment décisif pour les (ex)époux.
En effet, ce n’est qu’à cette date que les devoirs dont les conjoints sont mutuellement tenus l’un envers l’autre prennent fin, tels celui de secours ou celui de fidélité. De même, c’est à cette date que l’existence d’une disparité dans les conditions de vie respectives des époux doit être appréciée par le juge, afin de se prononcer sur l’octroi d’une prestation compensatoire. De même encore, la date de la rupture du mariage est celle où cesse la solidarité financière des conjoints vis-à-vis des tiers et, plus simplement, celle où leur remariage devient possible.
La solution arrêtée par l’article 260 du code civil est, a priori, simple : le mariage est dissous par la décision qui prononce le divorce « à la date à laquelle [cette décision] prend force de chose jugée », c’est-à-dire lorsque le jugement de divorce n’est plus susceptible de recours (appel, cassation).
Pour autant, certaines situations peuvent soulever de très déplaisantes difficultés juridiques pour le justiciable qui s’y trouve confronté.
C’est dans l’une de ses situations que la Cour de cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français, s’est prononcée dans un arrêt du 15 janvier 2025 (23-21.842).
Dans cette affaire, le divorce des époux avait été prononcé par un jugement du 1er mars 2012 contre lequel la conjointe avait décidé d’interjeter appel. Ce recours avait toutefois été déclaré irrecevable par la Cour d’appel pour avoir été formé tardivement, et cette irrecevabilité avait été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 novembre 2014.
Le parcours judiciaire aurait pu s’arrêter là.
Il fut hélas prolongé par l’ex-épouse, qui pris le parti, en 2018, de procéder à une saisie conservatoire de plusieurs centaines de milliers d’euros sur les comptes bancaires de son ancien mari afin de s’assurer du remboursement par celui-ci de dépenses qu’elle prétendait avoir exposées durant leur mariage.
Intervenu à cette occasion pour assurer la défense de l’ex-mari saisi, notre Cabinet avait fait valoir, entre autres arguments, que le mariage avait été dissous en 2012, par le jugement de divorce qui avait été prononcé, soit plus de cinq ans avant que la mesure litigieuse ne soit ordonnée, ce qui la privait de fondement pour cause de prescription.
À cela, l’ex-conjointe rétorquait que le jugement de divorce n’avait acquis « force de chose jugée » qu’au jour où l’irrecevabilité de l’appel dont il avait fait l’objet avait été définitivement entérinée par la Cour de cassation, soit le 13 novembre 2014, ce qui excluait la prescription.
En fin de cause, si le divorce était devenu définitif en 2012, l’épouse avait cinq années pour faire valoir sa créance auprès de son ex-époux, de telle sorte qu’elle était prescrite en 2018 et ne pouvait mettre en œuvre la moindre saisie conservatoire. Sa créance, prescrite, ne pouvait plus être revendiquée, il était trop tard.
En revanche, si le divorce n’était devenu définitif que lorsque toutes les voies de recours contre le jugement de divorce de 2012 avaient été épuisées, soit lorsque la Cour de cassation s’est prononcée en 2014, l’épouse était fondée à se prévaloir des créances entre époux jusqu’en 2019, sa créance n’était pas prescrite, et elle était fondée à demander que soit effectuée une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de son ex-époux. Il restait à savoir si sa créance était fondée, mais c’est là une autre histoire.
C’est finalement à la première thèse que la Cour de cassation s’est ralliée en 2025, en décidant que « le jugement de divorce était, à défaut d’appel formé dans le délai d’un mois à compter de [sa signification], passé en force de chose jugée à l’expiration de ce délai ».
Un petit peu de bon sens ne fait pas de mal, n’est-ce pas ?
Surtout dans un dossier tel que celui évoqué au cas présent, dans lequel la demande de divorce remontait à 2004, et où il aura fallu 21 ans et trois arrêts de la Cour de cassation pour que les époux soient reconnus comme officiellement divorcés…
Me Xavier Chabeuf
15 septembre 2025