Ce qui est gratuit a-t-il de la valeur ?


Cette question, digne d’un sujet de philosophie du baccalauréat, se pose avec une acuité particulière s’agissant de l’accès à la justice.

Elle est d’actualité, le ministre de la Justice, ayant prévu dans le projet de finances (article 30) la nécessité pour le demandeur à une action judiciaire devant le Tribunal judiciaire ou le Conseil de prud’hommes d’acquitter un droit de timbre de 50 €.

Cette somme serait destinée à abonder un fonds destiné à l’aide juridique et prévoirait nombre d’exemptions pour les bénéficiaires de ladite aide juridique et dans le cadre de procédures spécifiques devant le juge des enfants, le juges des libertés et de la détention, les procédures d’injonction de payer, de surendettement ou encore devant le juge des tutelles.

Comme souvent, la liste des exceptions est longue et trahit clairement que l’objectif poursuivi par la mesure est de récolter un petit peu d’argent en faisant payer ceux qui sont en capacité de le faire, le tout afin de le distribuer aux bénéficiaires de l’aide juridictionnelle et à leurs avocats.

Cette mesure s’inscrit dans une tendance déjà ancienne, apparue avec la nécessité d’acquitter un timbre fiscal de 225 € à l’occasion d’une procédure d’appel. A l’origine, il s’agissait d’indemniser les avoués dont la profession était fusionnée avec celle d’avocat. Comme il fallait s’y attendre, le timbre fiscal est demeuré alors que les deux professions ont fusionné depuis longtemps maintenant.

Plus récemment, l’an passé (décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024), une contribution pour la justice économique a été créée et est désormais due par les demandeurs à une action introduite par les entreprises ayant plus de 250 salariés et dont la demande initiale est supérieure à 50.000 €.

Les objectifs affichés de la réforme étaient de participer au financement du service public de la justice, de lutter contre les recours abusifs et dilatoires et de responsabiliser les parties ainsi que de favoriser les règlements amiables des différends. Cette contribution appelle en elle-même bien des réserves dont le présent article n’est pas l’objet.

Ce qui étonne, en revanche, c’est la tentation de rendre payant l’accès à la justice, sans qu’apparemment une réflexion d’ensemble n’ait été conduite sur cette question d’importance dans un Etat de droit.

L’un des objets de ces « contributions » est de dissuader les justiciables de faire appel aux tribunaux.

Cette ambition n’est-elle pas discutable ?

Par quoi entend-on substituer le recours au juge ? Par la loi de la rue ? Par la renonciation à se plaindre de la violation d’un droit ? Par les modes alternatifs de règlement de litige (médiation, conciliation) ? C’est la tendance.

Le risque, en mettant des obstacles au recours au juge n’est-il pas de voir le droit écarté ? La justice oubliée ?

Si la justice a besoin de moyens, l’on pourrait penser à bien d’autres outils qui, pour l’heure, n’apparaissent pas envisagés, comme de faire payer une indemnité aux parties abusant du recours au juge.

La partie qui succombe peut déjà être condamnée à verser une somme à la partie à laquelle le juge a donné raison (article 700 du code de procédure civile), et l’on pourrait imaginer un article 700-1 permettant à la juridiction de condamner la même partie à verser une somme au ministère de la justice, qui a engagé des frais de personnels et d’infrastructures pour statuer sur le litige.

C’est donc a posteriori qu’il faudrait envisager une contribution, afin de responsabiliser les justiciables, mais non a priori, dans la mesure où quoi que modiques (dans un premier temps s’entend), ces frais d’accès à la justice ne peuvent que constituer un obstacle au droit d’accès au juge.

Me Xavier Chabeuf


25 novembre 2025