Prestation compensatoire : on ne saurait spéculer sur l’héritage à venir du futur ex-époux
La prestation compensatoire est destinée à compenser la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des parties.
Aux termes de l’article 271 du code civil, elle « est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible ».
Parmi les critères que le juge doit prendre en compte figurent notamment la durée du mariage, l’âge et l’état de santé des époux, leur qualification et leur situation professionnelles, les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne, leur situation prévisible en matière de pensions de retraite, « le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ».
S’agissant de ce dernier critère, la question s’est posée de savoir si devaient être prises en considération, dans le patrimoine prévisible des époux, les espérances successorales des époux à la date de rupture du lien matrimonial.
Il ne fait pas de doute que, que l’on se situe du point de vue du débiteur ou du créancier de la prestation compensatoire, la possibilité de bénéficier d’un patrimoine issu d’une succession est susceptible de bouleverser les données, et remettre en cause tant le principe même du versement d’une prestation compensatoire, que son montant.
La Cour de cassation refuse pourtant, de manière constante, de prendre en compte les héritages susceptibles d’être perçus par les époux lorsqu’il s’agit de statuer sur la prestation compensatoire.
Elle vient de réaffirmer sa position à l’occasion d’une affaire dans laquelle l’un des époux avait déjà perdu ses parents et perçu un héritage (celui-ci est alors pris en compte dans le calcul de la prestation compensatoire car il est intégré au patrimoine de l’époux qui a hérité), tandis que son conjoint avait ses parents encore en vie et ne voyait pas leur succession future entrer en ligne de compte.
Le conjoint ayant déjà hérité prétendait que cette différence de traitement aboutissait à une atteinte au principe d’égalité devant la loi et demandait à la Cour de cassation de soumettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité visant à faire reconnaître cette rupture d’égalité, jugée inconstitutionnelle.
La Cour de cassation a refusé de transmettre la question au Conseil constitutionnel et a confirmé sa position en considérant qu’il n’existait pas d’atteinte au principe d’égalité entre les époux devant la loi (Cass., 1ère civ., QPC, 16 février 2022, n° 21-20362).
Cette position ne peut qu’être approuvée.
En effet, on ne saurait considérer que la vocation successorale d’un époux constitue un droit prévisible au sens de l’article 271 du code civil.
Quantité d’aléas sont encore susceptible d’apparaître : existence d’un testament, existence d’héritiers encore inconnus, consistance du patrimoine des parents de l’époux (existence de dettes, d’assurances vie, variation des valorisations mobilières et immobilières).
Il n’existe qu’une espérance successorale, qui peut se concrétiser ou non, et se matérialiser à un niveau qu’il est quasi impossible d’anticiper au moment du divorce.
Accepter de prendre en considération les héritages futurs obligerait de surcroît à opérer une sorte de pré liquidation de la succession des parents de l’époux dont les ascendants sont encore de ce monde, pour les besoins du calcul de la prestation compensatoire, ce qui serait éminemment complexe et long sur le plan pratique, et particulièrement indélicat sur le plan moral.
Xavier Chabeuf
30 avril 2022