Condamnés à continuer temporairement la relation commerciale rompue brutalement
Au motif de l’augmentation du cours du porc, une coopérative agricole spécialisée dans l’achat, l’abattage, la découpe de porc et la charcuterie souhaite augmenter le prix de certains de ses produits (jambons) dans le cadre du contrat qui la lie à une société qui prépare et vend des produits alimentaires.
Les négociations n’aboutissent pas et la coopérative notifie à son client la cessation de leurs relations commerciales avec effet immédiat, la mettant, on l’imagine, en difficulté vu que les partenaires sont en relations d’affaires depuis huit années. L’arrêt ici commenté (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 24 novembre 2021, n° 20-15.789) indique d’ailleurs que le client avait été « brusquement privé d’un fournisseur stratégique pendant une période de forte activité ».
Le client poursuit son fournisseur pour faire constater la rupture brutale des relations commerciales et ordonner leur poursuite pour une durée de douze mois avec obligation de renégocier de bonne foi les prix.
On le sait, l’article L. 442 -6-I-5° du Code de commerce prévoit qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne « de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée ».
Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici tient à la sanction de la rupture brutale des relations commerciale qui était, là, évidente.
Elle consiste le plus souvent en une indemnisation destinée à compenser la privation d’un préavis de rupture des relations commerciales. En effet, si nul ne saurait être contraint de perpétuer des relations commerciales avec un partenaire qui ne donne plus satisfaction, il convient de le prévenir suffisamment à l’avance pour qu’il puisse trouver une solution de rechange et se réorganiser, ce qui vaut aussi bien pour les fournisseurs que pour les clients.
Au cas précis, le client allait plus loin, car il demandait à ce que la coopérative continue de l’approvisionner à un prix raisonnable pendant un an : il s’agissait d’obliger les partenaires à continuer d’échanger ensemble pendant un an.
Le juge des référés du Tribunal de commerce de Rennes a satisfait cette demande et a ordonné la poursuite des relations commerciales pendant quatre mois au prix majoré accepté par le client durant les négociations précédant la rupture. Il a aussi dit qu’en cas de manquement à ces livraisons, le fournisseur serait condamné au versement d’une astreinte d’un montant de 5.000 € par jour de retard.
La solution pourrait inquiéter sur le plan pratique.
D’une part, l’on sait qu’il est délicat de forcer des gens qui ne s’aiment plus à continuer de vivre sous le même toit ou de réintégrer dans l’entreprise un salarié licencié de manière abusive. Il en va pareillement ici, et l’on peut entrevoir que les relations au quotidien entre les parties seront difficiles à gérer pendant les quatre mois durant lesquels elles devront se poursuivre. Il est d’ailleurs à craindre que la coopérative n’exploite le moindre manquement de son client pour rompre les relations commerciales, mais pour faute, cette fois-ci.
D’autre part, la continuation forcée des relations commerciales pourrait se comprendre si le client ne disposait d’aucune alternative crédible au fournisseur qui a rompu les relations commerciales. Toutefois, on peut douter que ce soit le cas pour ce qui est du marché du jambon, sur lequel les fournisseurs, en France et dans l’Union européenne sont nombreux. Le cas ici examiné était cependant particulier car le fournisseur était le fournisseur exclusif du client et ce depuis huit années. L’on peut comprendre qu’une solution alternative ne soit pas disponible immédiatement.
Il demeure, la solution rendue par le Président du Tribunal de commerce de Rennes apparaît bien justifiée pour deux raisons :
– D’une part, la poursuite des relations commerciales est limitée à quatre mois, soit bien en-deçà de la demande du client (un an), ce qui constitue une durée raisonnable et supportable pour trouver une solution alternative ;
– D’autre part, parce que le juge breton et le client ont fait preuve d’une célérité exceptionnelle, qui ont permis que la condamnation prononcée soit effective.
En effet, le fournisseur a notifié la fin des relations commerciales le 4 juillet 2019, le client l’a assigné en référé le 8 juillet 2019, et l’ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Rennes a été rendue le 11 juillet, soit une semaine après la notification de la rupture !
Dans de telles circonstances, les dégâts causés au client par la rupture des relations commerciales s’en sont trouvés limités. Il en serait allé bien différemment si le Président du Tribunal de commerce avait rendu son ordonnance plusieurs mois après sa saisine. On constate, là encore, la qualité de la juridiction commerciale, qui sait souvent s’adapter aux contraintes de la vie réelle dans le monde économique.
Il en allait d’autant plus ainsi que la condamnation à une astreinte d’un montant significatif de 5.000 € par jour de retard constituait une incitation franche pour le fournisseur à applique l’ordonnance.
Me Xavier Chabeuf
16 janvier 2022