Protéger les personnes âgées vulnérables des aidants et soignants trop bien intentionnés


Dès l’ancien régime, il est apparu nécessaire d’interdire les libéralités faites à certains professionnels.

Ainsi l’article 909 du code civil prévoit-il depuis l’origine que ne peuvent être désignés bénéficiaires de donations ou être couchés sur un testament les médecins, pharmaciens, auxiliaires médicaux ayant « prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ».

Une telle donation est nulle si le donateur, testateur ou ses héritiers le demande et il n’est pas besoin de rapporter la preuve que la personne à l’origine de l’intention libérale n’était pas saine d’esprit.

Il s’agit là d’une exception importante aux dispositions de l’article 902 du code civil consacrant le principe de libre disposition de son patrimoine : « Toutes personnes peuvent disposer et recevoir soit par donation entre vifs, soit par testament ».

Cette exception apparaît justifiée par le fait que les personnes en fin de vie sont sous l’influence, dans la dépendance, des personnes qui leur prodiguent des soins, lesquelles doivent conserver une indépendance professionnelle totale, rester à l’abri de tout conflit d’intérêts : « Quel que soit le professionnel en cause, auxiliaire de vie, garde-malade ou encore aide-ménagère, il doit être permis de s’assurer par principe de leur désintérêt pour le patrimoine de la personne vulnérable auprès de laquelle ils interviennent » (Professeur Anne-Marie Leroyer).

Les faits à l’origine de la saisine du Conseil constitutionnel et de sa décision n° 2020-888 QPC du 12 mars 2021 ne concernaient pas un professionnel de santé mais une femme de ménage qui s’était vu léguer l’appartement de la dame qui l’employait par un testament olographe (rédigé à la main et non déposé chez un notaire) rédigé six mois avant son décès.

Les cousins de la défunte avaient contesté ce legs sur le fondement de l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles qui étendait l’incapacité de donner ou de disposer aux personnes prenant en charge ou assistant les personnes vulnérables (disposition instituée en 2015).

En effet, compte tenu du vieillissement de la population française, de la généralisation des situations de dépendance, le législateur a souhaité prohiber les donations ou legs bénéficiant initialement aux seuls médecins, pharmaciens et auxiliaires médicaux aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs et aussi, par l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles, à tous les intervenants des hôpitaux, maisons de retraite, accueillants familiaux, personnes délivrant des services à la personne à domicile favorisant leur maintien chez elle.

Cette disposition, assez large il est vrai, paraissait bien adaptée à la réalité contemporaine de la vie des personnes dépendantes et de leur vulnérabilité face aux personnes qui les assistent.

Pourtant, le Conseil constitutionnel a censuré l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles au motif qu’il portait une atteinte jugée disproportionnée au droit de disposer de ses biens, composante du droit de propriété protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Selon la juridiction suprême, la disposition en question était critiquable en ce qu’elle ne prenait pas en compte la capacité juridique ou l’existence d’une vulnérabilité particulière des opposants.

C’est donc le retour au régime commun des nullités des donations et legs pour ce qui concerne toutes les personnes visées par l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles, avec l’obligation pour les héritiers lésés de rapporter la preuve de l’insanité d’esprit du donataire ou légataire au moment de la donation ou du legs.

D’expérience, ces procédures judiciaires sont longues, pénibles et coûteuses ; la preuve de l’insanité d’esprit au moment où l’acte à l’origine de la donation ou du legs a été accompli est souvent très difficile à rapporter. Elle exige généralement une ou des expertises médicales effectuées a posteriori, souvent sur pièces.

Cette décision du Conseil constitutionnel fragilise la protection des personnes vulnérables et il faut souhaiter que sa portée ne soit pas trop vite diffusée auprès des personnels concernés…

Par ailleurs, faut-il considérer que les dispositions mêmes de l’article 909 (concernant les personnels soignants) du code civil sont menacées ? Il n’est pas interdit de le penser.

En effet, au cas présent, le fondement textuel de la décision rendue par le Conseil constitutionnel, l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, est des plus évanescents et il est patent que le Conseil constitutionnel s’est autorisé à substituer son appréciation subjective à celle du législateur.

Dans la mesure où l’on ne mesure pas la différence de nature, pour ce qui concerne la vulnérabilité des personnes concernées, d’un personnel de santé (article 909 du code civil) ou d’un personnel d’EHPAD ou intervenant à domicile, il est à craindre qu’une prochaine question prioritaire de constitutionnalité n’écarte l’application de l’article 909 du code civil.

Cette solution nous apparaîtrait comme une défaite pour les personnes vulnérables, que la loi doit protéger contre la rapacité de certains aidants. 

Une solution intermédiaire – par exemple l’exigence d’un acte notarié et une information préalable aux héritiers potentiels – pourrait constituer une bonne solution permettant de concilier protection des personnes vulnérables et respect de leur capacité à administrer leur patrimoine.

Me Xavier Chabeuf


30 mai 2021