Les juridictions parisiennes déconfinent


Le moins que l’on puisse dire, c’est que le fonctionnement de la justice n’est pas apparu comme une priorité gouvernementale depuis le 16 mars dernier (cf. notre article du 25 mars 2020 : ici).

Sauf urgences extrêmes, notamment en matière pénale, les juridictions sont à l’arrêt : les décisions qui devaient être rendues depuis le 16 mars ne le sont pas, les audiences ne se tiennent pas, les greffes ne répondent pas, les délais de procédure sont semble-t-il suspendus (mais l’on ne saurait prendre le risque de ne pas respecter les délais de procédure initialement fixés), aucune perspective n’est donnée concernant les dates de renvoi des dossiers ni la tenue des audiences. 

Le pouvoir a manifestement renoncé à exercer cette fonction régalienne par excellence qui consiste à trancher les litiges entre ses concitoyens, à dire le droit, à juger. 

Il a déserté en rase campagne, tétanisé par la peur.

Pourtant, il aurait été possible de tenir des audiences en limitant le nombre de personnes présentes à l’audience, en imposant le port du masque, en mettant à disposition du gel hydroalcoolique. En organisant des audiences par visioconférence, comme cela se fait devant le Tribunal de commerce (cf. infra).

On se demande aussi ce qui empêche la Cour d’appel et le Tribunal judiciaire de rendre des arrêts et des jugements dans des affaires qui ont déjà été plaidées. Sans doute les greffes sont-ils immobilisés, mais des solutions ne pouvaient-elles pas être trouvées ? Lorsque l’on constate avec quelle facilité le Gouvernement a mis en place des régimes d’exception par ordonnance, à titre temporaire, on se dit que c’est surtout la volonté qui a fait défaut.

Les conséquences ne sont pas minces dans tous les contentieux de droit immobilier, de droit de la construction, de droit de la copropriété, de droit de la famille et du patrimoine, de droit des procédures d’exécution.

Cette situation fait la part belle aux mauvais payeurs, aux contractants malhonnêtes et opportunistes, à tous les coupables d’infractions civiles. 

L’Etat, omniprésent et impotent, a disparu, l’impunité règne.

Toutes ces matières relèvent du Tribunal judiciaire, anciennement Tribunal de grande instance, et de la Cour d’appel, il faut le souligner. 

Car toute autre est l’organisation du Tribunal de commerce de Paris. 

Celui-ci, dès les premiers jours du confinement, a continué à assurer ses missions en matière de défaillance d’entreprises et d’assistance portées à ces dernières. 

Les magistrats consulaires (issus de l’entreprise, élus, non professionnels, et non rémunérés) ont tout mis en oeuvre avec les greffes de tribunaux de commerce (privatisés et assurés par des professionnels libéraux) pour trouver une solution de continuité de l’activité de la juridiction commerciale compatible avec le respect de la sécurité sanitaire.

C’est ainsi que les greffes des Tribunaux de commerce, où s’effectuent toutes les démarches liées à la vie des entreprises, fonctionnent de manière dématérialisée.

C’est ainsi, aussi, que les audiences devant les juridictions contentieuses ont repris. Il est alors offert la possibilité aux parties, soit de déposer leur dossier, soit de plaider leur dossier en visioconférence. J’ai personnellement expérimenté le procédé et il est efficace. Il faudra évidemment revenir aux audiences « physiques » lorsque la crise sanitaire sera derrière nous (si si, ce jour viendra), mais cette solution pourrait être conservée à titre subsidiaire si les parties ne s’y opposent pas.

Quant aux procédures collectives (redressement et liquidation judiciaires, notamment), cela fait près d’un mois que les audiences en visioconférence sont la règle devant le Tribunal de commerce. Là encore, j’ai pu expérimenter l’excellent fonctionnement de la plate forme de visioconférence TIXEO utilisée par le Tribunal de commerce de Paris, qui offre le double avantage d’être française et cryptée. Un simple ordinateur portable suffit, le téléchargement de l’application prenant cinq minutes.

Le déconfinement a déjà commencé au Tribunal de commerce de Paris, qui remplit sa mission de service public avec détermination.

Au Tribunal judiciaire, le plan de continuité de l’activité reste modeste.

Dans le domaine que nous suivons au Cabinet Cardinal (chambres civiles avec représentation obligatoire et procédure écrite en droit des contrats, droit de la famille, droit des biens, droit de l’immobilier et de la construction, droit bancaire, départage prud’homal), tous les dossiers clôturés dans lesquels une audience de plaidoirie devait se tenir entre le 16 mars et le 10 mai sont traités selon la procédure sans audience : les dossiers sont examinés sur pièce, la procédure est exclusivement écrite.

Il en ira de même pour tous les dossiers fixés à une audience de plaidoirie entre le 11 mai et le 24 juin. 

Les parties peuvent s’opposer à une telle procédure sans audience, sans que l’on sache si l’audience se tiendra à la date initialement prévue au Palais de justice, à une date ultérieure non encore fixée, ou selon d’autres modalités non précisées.

Il est toujours intéressant de vous demander de choisir lorsque l’on ignore la teneur de l’alternative proposée…

L’incitation est claire de déposer le dossier, ce qui va dans le sens de la volonté contemporaine de décourager les avocats de plaider dans les procédures écrites. Ces affaires sont pourtant complexes et, si la plaidoirie n’est pas la simple répétition des conclusions déposées (ce qui s’observe trop souvent) mais s’efforce de clarifier les enjeux et de dire ce qui n’a pas pu être écrit, elle est éminemment utile. 

La solution idéale était sans doute de privilégier l’audience en visioconférence. On ne peut que souhaiter voir les magistrats professionnels du Tribunal judiciaire s’inspirer des bonnes pratiques et de l’efficacité du greffe et des magistrats du Tribunal de commerce.

Me Xavier Chabeuf


30 avril 2020