Liberté d’expression au sein de l’entreprise : jusqu’où peut-on aller ?


La liberté d’expression est une liberté fondamentale consacrée par divers textes internationaux, européens et nationaux, tels que la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales ou la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen.

Aucun texte ne protège spécialement la liberté d’expression au sein de l’entreprise, si ce n’est l’article L.1121-1 du Code du travail qui dispose de manière générale que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

C’est au visa de ce texte que la Cour de Cassation a posé le principe selon lequel, sauf abus caractérisé par des « propos injurieux, diffamatoires ou excessifs » le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, d’une liberté d’expression.

Toute la difficulté réside donc dans l’identification des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, dont l’appréciation variera, au cas par cas, selon les fonctions exercées, le milieu professionnel, le contexte dans lequel ils ont été tenus. Il faudra également s’attacher à l’ampleur de leur diffusion et à l’identité des personnes destinataires.

La jurisprudence est foisonnante mais reste toujours très protectrice de la liberté d’expression, comme l’illustre le récent arrêt du 15 janvier 2020 (n°18-14.177).

Dans l’affaire qui a donné lieu à cette décision, le commercial d’une entreprise de vente d’équipements informatiques avait été licencié en raison de son comportement agressif et critique à l’égard d’autres salariés et des responsables hiérarchiques, illustré par des e-mails assez peu aimables, du type : « peut-on répondre à son besoin oui ou non ? » , « concernant ma demande je ne vous parle pas d’urgence, je vous demande une réponse dans les meilleurs délais », « le premier bon à tirer qui n’est ni fait ni à faire », « crois-tu que je puisse traiter ce genre de mail ? », « je ne sais pas comment vous pouvez écrire de telles calembredaines »,« vous êtes très mal informé », « soyez plus visionnaire M. G… », « on est dans la vente de produits techniques pas à la Redoute ».

La Cour d’appel a estimé que l’attitude du salarié, si elle n’était pas constitutive d’une faute grave, justifiait néanmoins le licenciement pour cause réelle et sérieuse (licenciement assortie d’un préavis et d’une indemnité de licenciement).

A tort, selon la Cour de Cassation. Après avoir rappelé que « sauf abus, le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression », la Cour Suprême censure cette décision au motif que la Cour d’appel n’a pas caractérisé « en quoi les courriels rédigés par le salarié comportaient des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ».

Il faut souligner ici que la Cour de Cassation ne se prononce pas sur le caractère, en l’espèce, « injurieux, diffamatoires ou excessifs » des propos tenus par le salarié mais censure l’insuffisance de la décision de la Cour d’appel qui n’a pas caractérisé le dépassement par le salarié de sa liberté d’expression au regard du triptyque injure/diffamation/propos excessifs. Il appartiendra à la Cour d’appel désignée pour rejuger ce dossier de combler cette lacune, sans qu’il puisse être préjugé, à ce stade, de l’issue finale du litige…

Me Manuel Dambrin


20 février 2020