Discrimination à l’embauche et preuve


En vertu de l’article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise en raison d’un des critères suivants :

-son origine,
-son sexe,
-ses mœurs,
-son orientation sexuelle,
-son identité de genre,
-son âge,
-sa situation de famille ou de sa grossesse,
-ses caractéristiques génétiques, sa particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue,
-son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race,
-ses opinions politiques,
-ses activités syndicales ou mutualistes,
-ses convictions religieuses,
-son apparence physique,
-son nom de famille,
-son lieu de résidence
-sa domiciliation bancaire,
-son état de santé,
-sa perte d’autonomie ou son handicap,
-sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.

La difficulté pour le salarié qui s’estime victime d’une discrimination à l’embauche est, bien souvent, d’en rapporter la preuve dans la mesure où, en droit commun de la preuve, c’est à celui qui intente l’action en justice de rapporter la preuve de ce qu’il avance : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » (article 9 du code de procédure civile).

Autrement dit, ce serait, selon ce principe, au salarié de prouver qu’il a été discriminé et non à l’employeur de prouver qu’il n’a pas discriminé le salarié, ce qui paraît somme toute assez logique.

Pour faciliter cependant la tâche du salarié, le code du travail vient à son secours en aménageant la charge de la preuve en matière de discrimination (à l’embauche, mais aussi de façon générale).

L’article L.1134-1 du Code du Travail dispose ainsi que « Lorsque survient un litige en raison d’une [discrimination], le candidat […] présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, […]. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination […] ».

Autrement dit, le salarié ne supporte pas la totalité de la charge de la preuve ; il n’a pas à prouver qu’il est discriminé ; il doit seulement verser aux débats des éléments « laissant supposer » qu’il a été discriminé, à charge pour l’employeur de démontrer que sa décision (par exemple de ne pas recruter ce salarié) n’était pas discriminatoire.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 23 janvier 2019 (n° 16/09755) illustre cette méthodologie.

Dans cette affaire, le salarié passait avec succès un entretien d’embauche pour un poste de serrurier puis remettait à son futur employeur la copie de sa carte vitale et de son titre de séjour nécessaires à l’établissement de la déclaration préalable à l’embauche. Une semaine plus tard il recevait un mail indiquant « qu’ayant rencontré de grosses difficultés au niveau de la préfecture et ne sachant pas que vous n’aviez pas la nationalité française, nous avons le regret de vous annoncer que notre offre n’est plus d’actualité ».

Il s’agissait là des « éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte » de sorte que le salarié assumait sa part de la charge de la preuve et qu’il revenait alors à l’employeur de justifier qu’il était revenu sur sa décision pour des raisons étrangères à la nationalité ou à l’origine.

Pour se justifier, l’entreprise versait aux débats le contrat de travail d’un de ses salariés, dont elle indiquait que la consonance du nom ne laissait aucun doute sur ses origines même s’il était français, ainsi que son registre du personnel sur lequel figuraient par exemple Rachad Tchamed ou Mimoune Benouda mais dont la nationalité n’était pas connue.

La Cour d’appel a cependant estimé qu’il convenait de retenir la discrimination, au motif que ces éléments n’établissaient pas que la décision de rétractation était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination liée à l’absence de nationalité française, étant de plus observé que l’employeur n’établissait pas l’existence des difficultés rencontrées auprès de la préfecture s’agissant d’un travailleur ne disposant pas de la nationalité française.

Ce partage de la charge de la preuve est bien connu du droit du travail, il est le même en matière de harcèlement moral et d’heures supplémentaires.

Me Manuel Dambrin


10 février 2020