L’affaire Adèle Haenel selon Alain Finkielkraut


Le 3 novembre dernier, Mediapart a publié une longue enquête dans laquelle l’actrice Adèle Haenel accusait le réalisateur Christophe Ruggia, d’« attouchements » et de « harcèlement sexuel » lorsqu’elle était mineure.

S’en est suivi un déferlement médiatique clouant au pilori Christophe Ruggia dans un climat de lynchage et d’intimidation de toute parole non systématiquement en ligne avec l’émotion du moment.

Dès le lendemain, 4 novembre, la Société des réalisateurs de films (SRF), instance représentative de la profession a lancé la procédure d’exclusion du réalisateur Ruggia, signant ainsi sa mort professionnelle.

Cet épisode n’est que l’illustration la plus récente des excès de la justice révolutionnaire médiatique, qui manque aux principes essentiels d’une société démocratique et libérale.

Alain Finkielkraut (dont l’épouse est avocate), dans un entretien au Figaro du 21 novembre dernier, a bien résumé la situation :

« L’affaire Adèle Haenel marque un grand tournant. L’actrice, qui raconte une histoire extrêmement douloureuse, a choisi de ne pas porter plainte. Elle l’a dit à Mediapart. Et Edwy Plenel, qui l’interrogeait avec une délectation obséquieuse, , ne peut que se frotter les mains. Car le modèle du fondateur de Mediapart n’est pas, comme il le prétend, Albert Londres, mais Fouquier-Tinville. Et son rêve se réalise.

Il n’a plus besoin d’écrire au procureur, il est le procureur, il est le magistrat du siège, et son studio, le Tribunal révolutionnaire.

Pas d’avocats, pas de contradictoire, l’accusé est condamné sans appel à la mort sociale.

D’autres journaux suivent le mouvement. Toute une partie de la presse se « médiapartise » et le procès quitte l’enceinte judiciaire pour l’espace médiatique et les réseaux sociaux. Le quatrième pouvoir avale goulûment le troisième.

La passion justicière s’émancipe du droit car le droit fait des distinctions, le droit confronte les témoignages, le droit cherche les preuves, le droit se refuse à remplacer la présomption d’innocence par la présomption de culpabilité : autant d’insultes à la souffrance des victimes que les nouveaux prétoires se chargent de réparer.

Pour des actes qui ne méritent évidemment pas la moindre indulgence, on est en train de régresser, avec les techniques les plus sophistiquées, au stade du lynchage.

Aucune cause, même la plus noble, ne mérite qu’on lui sacrifie la civilisation ».

Les présentes observations sont effectuées sans porter d’appréciation sur l’attitude d’Adèle Haenel, sans minimiser les faits dénoncés qui, s’ils sont avérés, sont évidemment abjects, et sans préjuger du fond de l’affaire, dont l’actuel rédacteur, tout comme vous lecteurs, ignore à peu près tout.

Le procureur de la République a depuis ouvert une enquête et l’actrice a déposé plainte. La justice va donc pouvoir faire son travail.

Me Xavier Chabeuf


29 novembre 2019