Le juge et le militant


Le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Lyon le 16 septembre dernier (Télécharger « Jgt.pdf ») pourrait n’être qu’anecdotique au regard des faits poursuivis : deux militants écologistes se sont introduits au sein de la mairie du 2ème arrondissement de Lyon le 21 février 2019, en pleine journée, puis ont emporté avec eux le portrait du président de la République se trouvant dans la salle de mariage, « dont la porte était fermée mais non verrouillée ». Ledit portrait a ensuite été exhibé à l’occasion de manifestations afin de dénoncer, selon les militants, l’inaction d’Emmanuel Macron face aux enjeux posés par le réchauffement climatique.

D’autres portraits du Chef de l’Etat étaient aussi brandis lors de ces rassemblements, provenant de « décrochages » réalisés dans d’autres bâtiments publics.

Les faits étaient avoués sans difficulté par les prévenus, et même revendiqués par ces derniers, qui ont fait de leur procès une tribune politique, citant comme témoins Cécile Duflot, ancienne dirigeante des Verts et ancienne ministre de l’environnement, ainsi que Wolfgang Kramer, « scientifique en écologie globale » (jugement, p. 5). Crânement, ils ont refusé de restituer le portrait afin de pouvoir l’utiliser à l’occasion d’autres manifestations.

Le procureur de la République requerrait une peine symbolique, la condamnation de chaque prévenu à une peine d’amende de 500 €.

Elle semblait en rapport avec la gravité de l’infraction, évidemment constituée, mais d’importance modérée.

Le Tribunal, constitué d’un juge unique, a pourtant relaxé les deux prévenus aux termes d’un jugement apportant un soutien explicite non seulement aux thèses des militants écologistes, mais aussi aux voies d’action choisis par ces derniers pour diffuser leur message.

En fait, dès l’audience, on pouvait considérer que le Tribunal soutenait la cause des prévenus, en laissant ces derniers, accompagnés de leurs témoins eux aussi militants, dévoyer le procès en meeting écologiste portant sur le dérèglement climatique, la prétendue inaction des dirigeants politiques, et singulièrement du président de la République française, pour y porter remède, et sur la légitimité d’actes de « désobéissance civile non-violente ».

Mais ce sont les motifs du jugement qui sont les plus stupéfiants.

En effet, le magistrat rédacteur aurait pu rendre un jugement lapidaire, relaxant les prévenus des faits de la cause sans s’expliquer extensivement sur les raisons le conduisant à rendre ce verdict.

Il a, au contraire, choisi de développer la motivation du jugement dans plusieurs paragraphes (rédigés de manière élégante) structurés selon la séquence suivante :

–        Les faits reprochés sont constitués : « l’infraction de vol est matérialisée au regard des éléments rassemblés par l’enquête et des aveux recueillis à l’audience » (p. 6, § 3) ; « le dérèglement climatique est un fait constant qui affecte gravement l’humanité » (§ 4) ; les objectifs fixés par la France en vue de limiter le changement climatique ne seront pas atteints ; « le mode d’expression des citoyens dans un pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales » (p. 7, § 2) ; le décrochage et l’enlèvement du portrait « doit être interprété comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple » (p. 7, §3).

Cette décision témoigne de la désinvolture de certains magistrats à l’égard non seulement du devoir de réserve qui s’impose à eux en qualité de fonctionnaires, mais aussi de l’indépendance et de l’impartialité qui doit être la leur dans l’exercice de leurs fonctions.

Il ne s’agit évidemment pas de discuter leur droit d’avoir des opinions politiques, mais de rappeler qu’ils ne parlent pas pour eux-mêmes et rendent des décisions au nom du peuple français, au service d’une Justice qui les surplombe et les dépasse.

Au cas présent, le magistrat rédacteur (on ne peut plus écrire le « Tribunal correctionnel » car c’était manifestement un citoyen qui s’exprimait), a rendu un bien mauvais service à la justice, perpétuellement, et souvent injustement, soupçonnée de partialité. Pour cette raison, il est essentiel que le magistrat ait à cœur, d’une part, de prendre de la distance avec lui-même, d’autre part, de conférer à ses décisions une apparence d’impartialité et d’équilibre de nature à faciliter leur acceptation par les justiciables et par la société.

Cette décision illustre également une méconnaissance inquiétante de la séparation des pouvoirs prévue par nos institutions, le Tribunal n’ayant pas à trancher des questions de politique publique ni à juger des orientations gouvernementales.

Enfin, et c’est le plus grave sans doute, il est intolérable de lire que l’action illégale est le « substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple ». Le magistrat rédacteur foule aux pieds l’état de droit, comme si la République française n’était pas une démocratie, comme si le président de la République n’avait pas été élu (récemment) selon une procédure conforme à notre Constitution, comme si les Français ne disposaient pas de voies multiples et légales pour exprimer toute la diversité de leurs opinions.

Le portrait du président de la République n’est pas qu’une photo d’Emmanuel Macron, ainsi que l’a fort bien écrit Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel dans Le Figaro du 20 septembre 2019 : « Symbole du lien républicain unissant les citoyens en dépit de la diversité de leurs opinions, la présence du portrait du chef de l’Etat dans les hôtels de ville atteste, comme les emblèmes nationaux (hymne, drapeau), de notre attachement à un noyau consensuel d’affections et de loyautés. Ces symboles disent ce que nous avons de commun et qui nous met en mesure de débattre pacifiquement du reste. Y porter atteinte, c’est rompre ce lien et rendre par conséquent impossible la gestion des affaires communes ».

Me Xavier Chabeuf


27 septembre 2019