Le nouveau divorce par consentement mutuel, premier bilan


Le Conseil national des barreaux, à qui le législateur a confié le soin d’unifier par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d’avocat, a pris, le 28 mars 2019, une décision portant réforme du Règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat précisant que seul celui qui a rédigé la convention de divorce par consentement mutuel peut la signer et que la signature doit se faire en présence des avocats et des époux, « simultanément », « sans substitution ni délégation possible ».

Et ce même si les époux préféreraient ne pas se trouver en présence l’un de l’autre et même si cela disconvient aux avocats éloignés géographiquement…

Cette précision est la bienvenue, dans la mesure où le nouveau divorce par consentement, en vigueur depuis le 1er janvier 2017, a rendu possible un divorce qui, dans la grande majorité des cas, résulte d’un simple accord des parties sans passage devant le Juge aux affaires familiales.

Néanmoins, chaque époux doit être assisté d’un avocat et l’intervention d’un notaire est nécessaire, au moins pour enregistrer l’acte, mais aussi pour liquider le régime matrimonial lorsque le couple possède un ou des biens immobiliers.

Il incombe par conséquent aux époux de trouver un accord, assistés de leurs avocats, sur le principe de la séparation et sur les conditions auxquelles cette séparation intervient (répartition du patrimoine, garde des enfants, pension alimentaire, prestation compensatoire, etc…).

Pour ses promoteurs, cette réforme était riche de promesses.

Elle était censée (i) désengorger les tribunaux et accélérer le traitement des divorces contentieux, voire même libérer des postes de magistrats affectés à d’autres missions ; (ii) faciliter et accélérer le divorce des couples ayant trouvé un accord sur leur séparation.

L’idée d’une « dédramatisation » du divorce, devenu banal (120.000 à 130.000 divorces par an, plus de 50 % des mariages se traduisant par un divorce, plus de la moitié des divorces l’étant par consentement mutuel), constituait aussi l’un des objectifs poursuivis.

Deux ans et demi après l’entrée en vigueur de la réforme, ces objectifs ont-ils été remplis ?

S’agissant du désengorgement des tribunaux, la réduction de la charge de travail des magistrats de 60.000 dossiers ne s’est pas traduite par une rapidité et une fluidité spectaculaires de la justice civile, ni d’ailleurs par une amélioration perceptible de la qualité des décisions rendues. Il faudra attendre des statistiques du ministère sur le temps de traitement des procédures pour observer l’existence d’un impact éventuel de la réforme. En tout état de cause, les divorces par consentement mutuel étaient loin de représenter l’essentiel de l’office des Juges aux affaires familiales puisque ces affaires étaient les plus rapides à traiter et que le jugement se réduisait à sa plus simple expression. Ce sont tout au plus quelques dizaines de postes de magistrats en équivalent temps plein qui ont été économisés. Le besoin est tel en matière de recrutement que l’on comprend aisément qu’une soixantaine de postes économisés sur toute la France ne soit pas perceptible.

Quant à la facilitation et à l’accélération du divorce, il s’agit d’une pure vue de l’esprit dans la plupart des cas.

Certes, la formule semble adaptée en l’absence d’enfants et de patrimoine à partager.

Mais dans toutes les autres situations – les plus délicates humainement, financièrement, juridiquement – l’observation empirique aboutit à des résultats exactement contraires à ceux visés par les promoteurs de la réforme.

L’explication tient principalement au fait que les époux peinent à s’accorder en l’absence de perspective de soumission du différend à un juge : s’ils divorcent, c’est bien parce qu’ils ne s’entendent plus ! Espérer les voire miraculeusement trouver une solution intelligente à la vie post divorce, c’est souvent trop leur demander. Nombre de sujets qui ont posé problème au cours du mariage sont à nouveau remis en discussion (éducation des enfants, rapport à l’argent, équilibre famille/travail, rôle des beaux-parents, …) à un moment paroxystique qui a conduit les époux, lesquels ont souvent longtemps repoussé cette perspective, à considérer que la vie en commun n’était plus possible.

Et les avocats qui interviennent au soutien de l’un et de l’autre n’ont pas la faculté de trouver un accord lorsque chacun campe sur des positions irréconciliables. Il en va d’autant plus lorsque – et c’est fréquemment le cas – l’un des deux époux souhaite moins que l’autre divorcer, voire n’a pas perdu l’espoir de « reconquérir » celui ou celle qui souhaite reprendre sa liberté.

Alors les discussions s’éternisent, avec pour conséquence un divorce plus lent, mais aussi plus coûteux.

En effet, outre que chacun des époux doit disposer d’un avocat et que les conseils doivent rédiger la convention de divorce, la longueur des discussions, les multiples échanges souvent nécessaires pour parvenir à un accord, les alternances entre ultimatums et phases plus constructives se traduisent par une inflation du coût de la procédure que les parties n’ont souvent pas anticipée.

Mais la critique la plus sérieuse que l’on peut adresser au nouveau divorce par consentement mutuel tient au fait qu’il présente un risque sérieux de voir ignorés ou sérieusement affectés les droits de certaines parties.

En effet, la réforme du divorce par consentement mutuel a contribué au passage du mariage « institution » (le mariage intéresse les époux mais aussi la société toute entière car la famille représente la cellule de base de la société) à un mariage purement contractuel dans lequel c’est la volonté des époux qui détermine les obligations de chacun, notamment au moment de la séparation.

C’est ainsi que le divorce par consentement mutuel sans juge conduit les époux à se consentir des concessions réciproques afin de parvenir à un accord. Si un époux veut l’application du code civil et de tout le code civil en se fondant sur les jurisprudences les mieux établies, il est à craindre qu’aucun accord n’intervienne, surtout si le débiteur des obligations (souvent l’époux) est moins désireux de divorcer.

Le débiteur des obligations (pension alimentaire, prestation compensatoire, notamment, même si la question se pose aussi au stade de la liquidation du régime matrimonial) aura donc beau jeu de conditionner son accord à des concessions de l’époux créancier : contribution à l’éducation et à l’entretien des enfants revue à la baisse, réduction du montant de la prestation compensatoire ou même suppression pure et simple de celle-ci dans des cas où un juge en attribuerait sans doute une.

Le divorce par consentement mutuel sans juge aboutit ainsi à ce que l’un des époux, pour parvenir à un accord renonce de lui-même, prétendument volontairement (mais en réalité parce que le législateur l’a laissé seul dans une situation asymétrique), à des droits bien établis dans le code civil, auxquels il pourrait prétendre.

Si l’on rappelle que les femmes sont demanderesses au divorce dans près des trois quarts des cas et qu’elles sont le plus souvent créancières d’obligations financières acquittées par l’ancien époux, l’on aboutit au paradoxe selon lequel la réforme « progressiste » du divorce par consentement mutuel conduit à un affaiblissement de la position des femmes et à un recul par rapport à des droits reconnus formellement dans le code civil mais dont l’application concrète est en net retrait.

Me Xavier Chabeuf


26 avril 2019