L’huissier de justice continuera de patienter à la porte


Aussi étonnant que cela puisse paraître, les huissiers de justice n’ont pas accès aux boîtes aux lettres des particuliers et, alors même qu’ils remplissent une mission de service public en qualité d’officiers ministériels, disposent de prérogatives moindres que celles des agents de la Poste.

Il n’est pas évident pour eux, dans ces conditions, d’acheminer convenablement assignations, sommations et autres jugements, surtout à une époque où se multiplient digicodes, clefs d’accès aux immeubles et autres systèmes de sécurité.

Ainsi, l’huissier de justice se retrouve fréquemment dans l’impossibilité matérielle de faire parvenir les plis qui lui sont confiés, sans même compter les cas dans lesquels les destinataires s’ingénient à disparaître sans laisser d’adresse.

Cette situation ubuesque résulte d’inconséquences successives des pouvoirs publics, depuis de nombreuses années.

Ainsi, une loi du 22 décembre 2010 prévoyait l’obligation pour le propriétaire ou le syndicat des copropriétaires de garantir l’accès aux parties communes des immeubles aux huissiers de justice, mais cette loi ne fut suivie d’aucun décret d’application, et resta donc sans effet.

Puis, la loi dite ELAN du 23 novembre 2018 a prévu la modification de l’article L. 111-6-6 du code de la construction et de l’habitation afin d’autoriser les huissiers de justice à accéder aux boîtes aux lettres particulières dans les mêmes conditions que les agents postaux (accès aux dispositifs d’accès type VIGIK ©).

C’était sans compter la censure du Conseil constitutionnel (CC, 15 novembre 2018, n° 2018-772 DC) qui invalida la mesure pour cause de cavalier législatif.

Un cavalier législatif est une disposition introduite dans une loi ordinaire par un amendement dépourvu de lien suffisant avec le projet ou la proposition de loi déposé sur le bureau de la première assemblée saisie, en méconnaissance des articles 39, alinéa 1er, et 44, alinéa 1er, de la Constitution.

Il s’agit en fait d’une mesure de discipline constitutionnelle visant à éviter que les projets de loi ne soient dénaturés au cours de la discussion parlementaire par des amendements n’ayant pas de rapport avec le sujet du projet de loi.

Cette sanction vise avant tout, dans les faits, le Gouvernement, car s’il vise le contrôle des amendements parlementaires, ces derniers ne sont adoptés, dans les faits, que s’ils recueillent l’assentiment du Gouvernement et de la majorité parlementaire.

Ne se décourageant pas, le Gouvernement a réintroduit la mesure dans la « loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ».

Cependant, là encore, le Conseil constitutionnel a prononcé une censure dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 (considérants 392 et 394), au motif que les dispositions « ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat ».

Les huissiers de justice attendront…

Trois enseignements peuvent être tirés des développements tragi-comiques exposés ci-dessus :

1 – Des difficultés très concrètes de la justice du quotidien ne sont pas corrigées pendant des années alors que leur règlement ne coûterait pas un centime à l’Etat : désintérêt des pouvoirs publics ?

2 – Les gouvernements successifs privilégient les effets d’annonce politique à la concrétisation des volontés affichées : comment comprendre autrement l’adoption de lois non suivies de leurs décrets d’application ?

3 – L’amateurisme du Gouvernement, qui se retrouve censuré deux fois sur le même fondement constitutionnel, à intervalle rapproché : le ministère de la justice ne dispose-t-il pas de juristes compétents en mesure d’anticiper la non-conformité à la Constitution de dispositions soumises au Parlement ? Ou alors ne sont-ils pas écoutés ?

Me Xavier Chabeuf


30 mars 2019