La ligne rouge


La liberté d’expression est consacrée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 qui énonce que « Toute personne a droit à la liberté d’expression ».

En vertu de ce texte, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, d’une liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. L’article L. 1121-1 du code du travail dispose en effet que « Nul ne peut apporter au droit des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Tout salarié est ainsi en droit de critiquer tant l’organisation de l’entreprise que des propos, des décisions ou des méthodes qui lui paraissent inappropriés.

La seule limite est celle de l’abus, qui est franchie lorsque le salarié tient des propos « injurieux, diffamatoires, vexatoires ou excessifs » (Cass. Soc., 19 février 2014, n° 12-29.458).

La limite à ne pas franchir n’est pas forcément aisée à déterminer.

Elle va dépendre de plusieurs facteurs tels que le niveau de responsabilité du salarié (les propos d’un cadre dirigeant ne seront pas analysés de la même manière que ceux d’un employé), l’ampleur de la diffusion des propos (diffusion restreinte à un petit cercle de personnes ou dépassant les limites de l’entreprise), du contexte des propos incriminés (répondaient-ils à une provocation de l’employeur ?), de la tolérance qui a pu s’installer jusqu’alors, ou encore du milieu professionnel (ambiance feutrée d’un salon vs entrepôt de marchandises).

L’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 13 février 2019 (n° 17-15.928) concerne un cas où la ligne rouge a été franchie.

Il s’agissait d’un salarié qui avait, dans différentes lettres, mentionné qu’il refusait « d’accourir ventre à terre pour répondre à l’injonction hiérarchique bête et méchante », qualifié de « torchon » une lettre adressée par le directeur et le président de l’association et ayant « suscité le dégoût chez la plupart de ses lecteurs », écrit que le directeur mentait « effrontément » et que la « bonne foi » du président n’était pas « parfaite », que le directeur jouait « au caporal », et que le président de l’association se laissait « aspirer […] par la galaxie droits et libertés qui érige en vertu la pratique des coups tordus ».

Les juges ont pu considérer que ces propos, « largement diffusés, constituaient un abus de la liberté d’expression du salarié caractérisant une cause réelle et sérieuse de licenciement ».

Me Manuel Dambrin


06 février 2019