Grand débat national : et la justice ?
Je viens de remplir les quatre questionnaires thématiques du Grand débat national et constate, un peu interloqué, que pas un seul ne concerne la justice.
Outre que les questions sont grossièrement orientées vers les réponses espérées par le Gouvernement qui prétendra ensuite avoir pris les mesures que tout le monde attend, cette carence ne peut manquer d’interpeler.
Certes, les Gilets jaunes n’occupent pas les rond-point depuis plus de deux mois sur la base de revendications liées au mauvais fonctionnement de la justice. Et la portion belliqueuse, anticapitaliste et antiflics de la mouvance ne donne pas l’impression de s’embarrasser de principes du contradictoire, de droits de la défense et d’esprit de nuances, tous raffinements bourgeois qui n’ont pas de place dans un régime authentiquement révolutionnaire.
Il demeure, j’avais cru comprendre (mais chacun voit midi à sa porte, avec ce mouvement) que les Gilets jaunes étaient mus pour partie par un souci de de liberté face aux intrusions de l’Etat, de justice face aux iniquités de l’existence, d’égalité entre Français, de besoin d’être compris, défendus.
Or la justice se trouve au carrefour de toutes ces problématiques.
L’on évoque des évolutions constitutionnelles sans doute intéressante mais un brin complexes, alors que, déjà, disposer d’une justice rapide, sur tout le territoire, traitant chacun de la même manière, constituerait une avancée considérable.
Les Français trouvent-ils que le fonctionnement de la justice est satisfaisant ? La plupart, heureux sont-ils, n’ont pas d’idée sur la question faute d’avoir eu à en connaître. Mais les autres ?
Partant du principe, tel Georges Marchais, que ce n’est pas parce que l’on ne pose pas une question qu’il ne faut pas y répondre, j’apporte ci-après une bien modeste contribution au débat :
- Budget : les dépenses publiques françaises sont parmi les plus élevées au monde tandis que les Français ne sont semblent-ils pas satisfaits des services rendus. L’Etat et les collectivités publiques interviennent dans les moindres recoins de nos existences et se sont manifestement donnés pour objectif de nous rendre heureux, ce en quoi ils ne peuvent qu’échouer, car ce n’est pas de leur ressort. Dans le même temps, les fonctions régaliennes (sécurité, défense, justice) ne sont pas remplies de manière satisfaisante. Même si l’augmentation d’un budget n’a jamais fait une politique, il semble difficile de nier que le secteur de la justice ne bénéficie toujours pas, même si beaucoup a été fait, d’un budget à la hauteur de la grande démocratie que la France prétend être. Ce budget doit être affecté au recrutement de magistrats, à la réduction des délais de jugement, au renforcement des greffes, à l’informatisation.
- Prisons : on juge la force d’une démocratie à l’état de ses prisons et de ses hôpitaux psychiatriques. Autant dire qu’il existe encore de sérieuses marges de progrès. En la matière, là aussi, il faut massivement investir pour améliorer la sécurité et la salubrité des prisons, pour assurer un meilleur statut aux surveillants, pour désendoctriner les radicalisés, pour offrir une seconde chance aux détenus, pour appliquer les peines.
- Aide juridictionnelle : le système actuel est à bout de souffle. Les besoins de justice sont immenses, l’inégalité des citoyens face à la justice est réelle, et la rémunération des avocats à l’aide juridictionnelle est insuffisante et ne permet pas de fournir un travail de qualité pour qui veut se consacrer essentiellement à des clients bénéficiant de l’aide juridictionnelle. Il serait possible de passer à un système complètement différent consistant pour les barreaux à employer des avocats salariés qui se consacreraient uniquement aux clients ne disposant pas des moyens financiers leur permettant d’avoir recours aux services d’un avocat dans le secteur libre. Les dossiers feraient l’objet d’une sélection pour éviter les dossiers sans fondement et écarter les paranoïaques et mauvais querelleurs (sur le modèle de ce qui se pratique déjà devant la Cour de cassation). Quand on financement, il pourrait provenir à la fois du budget de l’Etat et de sommes auxquelles les Tribunaux condamneraient les parties qui succombent dans les procès, qui s’ajouteraient à l’article 700 du code de procédure civile (qui permet au juge de condamner une partie à payer partie des frais engagés par l’autre partie à l’occasion du procès).
- Répartition territoriale : il faut en arriver à un Tribunal de grande instance par département, et une ou deux cours d’appel par région. La justice de proximité est une nécessité, mais il est évident que la carte judiciaire comporte encore nombre d’incongruités L’Allier, 343.000 habitants a-t-il bien besoin de trois Tribunaux de grande instance de Moulins, Vichy (Cusset) et Montluçon ?
Me Xavier Chabeuf
06 février 2019