Le sexe des magistrats


En 1453, alors que les troupes ottomanes s’apprêtaient à entrer dans Constantinople, les religieux byzantins étaient occupés à discuter de la question théologique du sexe des anges, facilitant la chute de la ville et de l’Empire romain d’Orient.

Le 2 octobre 2018, la garde des Sceaux, Madame Nicole Belloubet, a adressé à ses services et à tous les plus hauts magistrats du pays une note précisant la circulaire du Premier ministre du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel.

On est heureux de constater que face à l’explosion de la population carcérale, aux difficultés matérielles rencontrées par les juridictions, le ministre trouve encore l’énergie pour pousser les feux d’une bataille symbolique visant à la féminisation des fonctions dans l’institution judiciaire.

Ce d’autant que désormais les femmes sont très majoritairement majoritaires dans cette administration, et que chaque nouvelle promotion de l’Ecole nationale de la magistrature renforce encore la proportion de femmes dans la magistrature et dans les greffes.

Il ne s’agit pas ici de contester ici l’impératif évident de l’égalité hommes/femmes dans l’accès aux responsabilités et dans l’évolution des carrières, mais simplement de s’interroger sur la question de savoir si ce combat légitime doit passer par la violation des règles de grammaire de la langue française.

Et la note en question ne rassure pas de ce point de vue, qu’on en juge.

Ainsi le (la ?) ministre préconise, dans les textes réglementaires, l’usage du masculin en tant que forme neutre pour les termes susceptibles de concerner les femmes comme les hommes.

En revanche, elle demande que les mentions désignant la personne titulaire de la fonction soient accordées en genre. On parlera donc de « l’auteure », « la ministre », « la secrétaire générale », « la directrice », « la procureure », « la greffière ».

A titre facultatif, en fonction du souhait du chef de cour, il sera possible d’écrire « la cheffe » ou « la substitute ».

En tout état de cause, il est recommandé dans la note de recueillir au préalable l’avis des intéressées…

Il faut donc comprendre que l’on passera de formulations bien établies par des siècles de pratique, conformes aux préconisations de l’Académie française, et faisant du masculin le genre neutre s’appliquant aussi bien aux femmes qu’aux hommes lorsque l’on désigne des fonctions officielles, à un usage différencié selon les juridictions et même selon les magistrates en fonction de leurs préférences personnelles.

Autant dire que la diversité des pratiques risque de se répandre, ce qui multipliera faux pas et offenses involontaires.

Cela arrive déjà parfois, et l’avocat de s’interroger, en début d’audience, s’il doit s’adresser au chef de la formation de jugement en lui disant « Madame le Président » ou « Madame la Présidente ».  Il convient alors d’essayer de deviner l’inclinaison du magistrat, au risque de se faire reprendre sèchement, ce qui constitue un bien mauvais début de plaidoirie.

La France s’est constituée en large partie par le partage d’une langue qui permettait aux Français de communiquer entre eux. Et il n’est pas anodin que le premier texte officiel rendant obligatoire l’usage de la langue française dans l’administration ait visé à l’application du français dans les décisions de justice (ordonnance de Villers-Cotterêt, 1539, encore en vigueur).

Qu’en est-il lorsque le langage judiciaire ne vise plus à l’universalisme mais au soulignement des particularismes, ou lorsque les règles de grammaire sont fonction du contexte et de la personne à qui l’on s’adresse ?

Le byzantinisme n’est pas loin.

Me Xavier Chabeuf


03 décembre 2018