Indépendance et impartialité des juges : l’inaccessible idéal


C’était mon sujet de grand oral d’examen d’entrée à l’école du Barreau : « L’indépendance des juges ».

Question ô combien sensible tant sur le plan collectif, où cette question revient périodiquement sur le devant de l’actualité au gré des différentes « affaires » politico-financières, que sur le plan individuel.

C’est ce dernier aspect qui nous intéresse ici, celui de l’indépendance du juge, non pas par rapport à sa tutelle administrative ou politique, mais par rapport à lui-même.

On évoque alors davantage l’exigence d’impartialité : chaque magistrat a une histoire, des références politiques, culturelles, philosophiques, religieuses, mais il rend la justice au nom du peuple français et doit offrir aux justiciables l’apparence d’une impartialité totale.

Il s’agit pour le juge de se dédoubler, ce que permet le cérémonial de la justice et le port de la robe : il ne rend pas la justice comme un citoyen libre de ses opinions comme tout un chacun, mais comme représentant d’une idée (la justice dans un état de droit démocratique) et le visage de valeurs qui le dépassent et qui le contraignent à aller « au-delà de lui-même », en oubliant ses préjugés de citoyens pour s’ouvrir à la différence d’une vérité plus complexe qu’il n’est pas seul à détenir, et dont les justiciables qui comparaissent devant lui (représentés par leurs avocats) détiennent également une part.

Evidemment, ce n’est pas simple de s’oublier soi-même et de s’efforcer à l’objectivité, à l’impartialité.

Mais encore faut-il en avoir le souci, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. L’enseigne-t-on à l’Ecole nationale de la magistrature ?

N’intervenant que marginalement en matière pénale, je n’ai pas l’expérience de représenter des personnes suspectées d’avoir commis des crimes ou des délits potentiellement graves.

Mon expérience se limite aux juridictions civiles, commerciales, et prud’homales et concerne principalement des clients dont le défaut, semble-t-il, est de disposer de revenus ou de patrimoines supérieurs à la moyenne.

Je me rappelle de ce conseiller de cour d’appel, ironisant sur le fait que mon client n’avait pas vraiment lieu de se plaindre compte tenu du salaire qu’il percevait actuellement, plusieurs années après les violations contractuelles objet du litige. Ou de cette présidente de tribunal exprimant que ma cliente, qui avait bénéficié de donations familiales, était bien ingrate de prétendre que ses droits avaient été violés. Ou de ces observations déplacées de conseillers prud’homaux face aux rémunérations élevées dans le secteur de la finance. Plus récemment, un tribunal d’instance a pu écrire dans les motifs de sa décision que mon client, pharmacien, était mal placé pour prétexter l’impossibilité de participer à une visite d’expertise à une date précise compte tenu des facilités que sa profession lui laissait.

Précisons que toutes ces expressions, qui sont loin d’être isolées, se sont traduites par des décisions défavorables à la personne concernée…

Et l’objectivité exige de préciser que dans bien des cas, une décision favorable a été rendue en cause d’appel devant d’autres magistrats.

Il ne s’agit donc pas de soutenir que le phénomène est général, mais seulement qu’il existe et reste malheureusement fréquent dans des dossiers dans lesquels certains magistrats n’arrivent pas à dissimuler une défiance de classe face aux citoyens qui se sont tournés vers la justice pour trancher un litige.

Et je n’évoque même pas ici le cas, évidemment inquantifiable, des magistrats hostiles pour des raisons d’inclination personnelle à un justiciable, mais qui ont la sagesse ou la rouerie de ne pas la laisser paraître… Méfions-nous de ce juge sophiste qui fait mine d’entendre, de s’intéresser, mais a déjà décidé, dans son for intérieur, de l’issue du litige. Les avocats ne sont alors que les acteurs d’une triste comédie.

Une sanction existe à la manifestation sans équivoque, écrite, d’un manque d’impartialité, c’est la nullité.

Cette solution est rappelée régulièrement dans des cas extrêmes :

–        Ainsi de ce juge de proximité de Toulon faisant état de « la piètre dimension de la défenderesse qui voudrait rivaliser avec les plus grands escrocs, ce qui ne constitue nullement un but louable en soi sauf pour certains personnages pétris de malhonnêteté comme ici Mme M. dotée d’un quotient intellectuel aussi restreint que la surface habitable de sa caravane » ;

–        Ainsi aussi, plus récemment, du tribunal d’instance de Montpellier écrivant dans son jugement que « Madame S. prend plaisir à rappeler les circonstances douloureuses du décès du fils des demandeurs et de leur nuire en voulant culpabiliser un père endeuillé ». La Cour d’appel de Montpellier a considéré que l’utilisation de la terminologie « prend plaisir » caractérisait une « appréciation morale personnelle du juge qu’il impute sans preuve rapportée » à Madame S. La Cour ajoutant : « L’appréciation morale personnelle exprimée par le juge est nécessairement extérieure à l’exigence d’objectivité et d’impartialité qui lui incombe, et de nature à affecter en conséquence la validité de la décision judiciaire ». Le jugement a été annulé (CA Montpellier, 27 février 2018, n° 15/08354).

Ainsi que le résume l’adage anglo-saxon, « Justice must not only be done, it must also be seen to be done ».

Me Xavier Chabeuf


06 novembre 2018