Le témoin n’a pas dit son dernier mot


La Cour de Paris écarte la clause d’une transaction par laquelle le salarié s’engage à ne pas témoigner contre son employeur.

Lorsque les parties à un litige mettent un terme à leur différent dans le cadre d’une transaction, il est fréquent que soit insérée dans le protocole transactionnel, généralement à l’initiative de l’employeur, une clause par laquelle le salarié s’interdit d’apporter son témoignage à des collègues qui seraient à leur tour en conflit avec leur employeur, et prévoyant des pénalités ou la remise en cause de la transaction en cas de transgression.

La validité d’une telle interdiction a toujours fait débat dans la mesure où la liberté de témoigner constitue une liberté dont la Cour de cassation a plusieurs fois rappelé le caractère fondamental, dans des affaires qui opposaient en général l’employeur à un salarié qui avait fait usage de ce droit.

Ainsi jugé que doit être annulé le licenciement pour faute grave d’une employée de maison, pour avoir rédigé une attestation destinée à être produite dans le cadre du divorce des époux qui l’employaient (cass. soc. 23 novembre 1994, n° 91-41434, BC V n° 308).

De même, encourt la nullité le licenciement d’un salarié après qu’il a rédigé une attestation en faveur d’un collègue (cass. soc. 29 octobre 2013, n° 12-22447, BC V n° 252).

Dans l’espèce jugée par la Cour de Paris le 5 juillet 2018, un salarié licencié avait fait citer une ancienne collègue en qualité de témoin et cette dernière, pour justifier sa non-comparution, se retranchait derrière la transaction qu’elle avait conclue lors de son départ de l’entreprise et dans laquelle les parties s’étaient engagées à ne pas établir de témoignages l’une contre l’autre.

La Cour d’appel n’invalide pas directement la clause litigieuse mais décide d’outrepasser cette clause transactionnelle en se fondant sur l’article 10 du code civil selon lequel « Chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis, peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte ou d’amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts ».

Encore faut-il souligner que la nature du litige a été déterminant dans la décision des juges d’écarter la clause comportant l’interdiction de témoigner, la Cour d’appel estimant que cette clause « ne constitue pas un motif légitime de refus de témoigner sur des faits argués de manquements à l’obligation de sécurité et de discrimination. La protection de la sécurité et de la santé au travail, ainsi que l’interdiction de comportements discriminatoires, présentent, en effet un caractère de nécessité d’une valeur supérieure à la protection des intérêts privés de l’entreprise ».

Les juges ont donc ordonné l’audition de la salariée signataire de la transaction, en qualité de témoin et celle-ci devra être présente à la prochaine audience qui portera sur le fond du litige, c’est-à-dire sur l’existence ou non de manquements à l’obligation de sécurité et d’agissements discriminatoires.

Me Manuel Dambrin


15 octobre 2018