Utilisation déloyale du temps de travail : un abus de confiance ?
Le fait pour un salarié d’utiliser son temps de travail à d’autres tâches que celles pour lesquelles il est payé, peut constituer le délit d’abus de confiance. C’est ce qu’a jugé la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation dans un arrêt du 3 mai 2018 (n° 16-86369).
Dans l’affaire qui a donné lieu à cette décision, deux salariés avaient, sur leur temps de travail et à l’aide des moyens mis à leur disposition (locaux, téléphone, outil informatique) créé et développé une activité commerciale pour le compte de sociétés tierces à leur employeur.
Informé de ces faits, l’employeur aurait pu se contenter d’en tirer, classiquement, des conséquences disciplinaires, en prononçant le licenciement pour faute grave ou lourde des intéressés, dont les agissements, s’ils étaient avérés, constituaient un manquement à l’obligation de loyauté qui est inhérente à l’exécution de tout contrat de travail.
Mais l’employeur dénonçait également ces agissements au Procureur de la République et, à l’issue de l’information judiciaire, le juge d’instruction renvoyait les deux salariés devant le Tribunal correctionnel. Aux termes de la procédure judiciaire, la Cour d’appel retenait l’existence d’un abus de confiance et prononçait des peines d’emprisonnement avec sursis, d’un an et de six mois, contre les salariés.
Cette solution est approuvée par la Cour de Cassation qui énonce « que constitue le délit d’abus de confiance l’utilisation, par des salariés, de leur temps de travail à des fins autres que celles pour lesquelles ils perçoivent une rémunération de leur employeur ».
La solution a de quoi surprendre car l’abus de confiance se définit strictement par « le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé » (art. 314-1 du code pénal).
« Le temps de travail » ne pouvant être qualifié ni de « fonds » ni de « valeurs » au sens de ce texte, il constituerait donc un « bien quelconque », ce qui est assez audacieux au regard de la définition classique d’un bien : « toute chose matérielle susceptible d’appropriation » (Cornu G., vocabulaire juridique).
Surtout, l’abus de confiance suppose que le bien quelconque, objet du détournement, a préalablement « été remis » à l’auteur du détournement. Il faut donc considérer que l’employeur est propriétaire du temps de travail de ses salariés et que ce temps ferait l’objet d’une remise préalable au salarié…
Bref, cette solution, et sa formulation très large dans l’arrêt évoqué ci-dessus est contestable au regard du principe d’interprétation stricte de la norme pénale et pourrait ouvrir la voie à une certaine insécurité juridique : à partir de quelle durée la pause-café ou le temps passé sur internet à préparer ses vacances dégénère-t-il en abus de confiance ?
Me Manuel Dambrin
12 juillet 2018