Vers la fin de l’exécution provisoire ?


La justice n’échappe pas à la fièvre réformatrice. Les propositions de changement réglementaires ou législatifs prennent une telle ampleur, dans tant de domaines à la fois, qu’opinion publique et professionnels font face à un effet de « sidération » et se trouvent dans l’incapacité de prendre la mesure de tous les changements proposés, se focalisant sur quelques mesures phares, censément emblématiques, et souvent polémiques.

Cette manière de réformer interroge et l’on comprend bien qu’elle s’inscrit dans la volonté d’adapter rapidement les institutions françaises aux défis de l’époque.

Mais attention à ne pas aller trop vite, parfois, en revenant sur des principes bien établis qui ont fait leurs preuves.

C’est la réflexion qu’inspire le projet d’« Amélioration et simplification de la procédure civile » remis récemment au Ministre de la Justice.

Les auteurs du rapport sont conscients du nombre de réformes ayant profondément modifié les règles de procédure au cours des toutes dernières années : « Les professionnels s’en inquiètent légitimement. Les réformes s’enchaînent à un rythme qui ne permet pas aux pratiques et aux habitudes de s’installer, condition pourtant nécessaire à toute sécurité juridique. On le sait, la matière procédurale, peut-être plus que toute autre, ne peut se façonner qu’avec le temps et l’accoutumance ».

Pour autant, la rapport formule 30 propositions.

Certaines sont attendues (numérisation), bienvenues (simplification des actes de saisine du juge civil), d’autres audacieuses (financement de la justice civile par les parties), et l’une est, finalement, inquiétante : « Généraliser l’exécution provisoire de droit de la décision ».

Sous son libellé technique, il s’agit d’une question de principe, fondamentale.

Actuellement, le principe est, hormis dans un certain nombre de domaines dans lesquels l’exécution provisoire est de droit (procédure de référé par exemple), que l’appel suspend l’exécution du jugement rendu en première instance, sauf lorsque « le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire » (article 515 du code de procédure civile).

Le projet de réforme consiste à inverser principe et exception et à faire de l’exécution provisoire le principe, et de la suspension de l’exécution en cas d’appel, l’exception.

Les arguments invoqués au soutien de la réforme sont séduisants : revalorisation de la décision rendue en première instance qui ne serait pas une simple étape procédurale vers la décision finale, rapidité.

La réticence ici exprimée tient principalement à deux séries d’argument : l’atteinte au principe du double degré de juridiction et l’important taux de réformation des jugements en appel :

ð  L’atteinte au principe du double degré de juridiction : si l’exécution provisoire de la décision rendue en première instance n’interdira pas, en principe, d’interjeter appel, il est clair que l’exécution du jugement enlève à l’appel une grande partie de son intérêt. On l’observe quotidiennement dans nos Cabinets : si une partie est amenée à indemniser, payer, faire ce qui a été ordonné en première instance, la condamnation est déjà passée, et la partie qui succombe renonce bien souvent à porter l’affaire en appel.

La généralisation de l’exécution provisoire aboutit donc, de facto, à une éradication de l’appel. Il s’agit là d’ailleurs sans doute de la finalité cachée de la réforme proposée, qui sous couvert de simplification et d’efficacité, vise à des économies.

Or le Conseil constitutionnel a plusieurs fois eu l’occasion de juger que des dispositions remettant en cause le caractère suspensif de l’appel méconnaissaient le droit à un recours effectif.

Il ne s’agit pas là de défendre un principe théorique et un peu abstrait, mais tout simplement de rappeler que le droit de faire juger l’affaire par des juges plus expérimentés, siégeant à plusieurs, est de nature à permettre une meilleure décision de justice.

Cette préoccupation est bien concrète.

Car les décisions de première instance sont fréquemment réformées, partiellement ou intégralement, en appel. L’appel n’est pas un détour inutile, une lubie d’avocats souhaitant prolonger les affaires, ou un outil au service de justiciables querelleurs : 21,4 % des jugement rendus par les tribunaux de grande instance font l’objet d’un appel, cette proportion atteignant 67,8 % s’agissant des jugements rendus par les conseils de prud’hommes, et 13,7 % pour ce qui est des jugements rendus par les tribunaux de commerce (données 2015). Or sur 138.271 affaires portées devant les cours d’appel, 30.754 ont été totalement réformées (22 %), et 48.053 ont été partiellement réformées (34,75 %), soit un taux de réforme total ou partiel de plus de 56 % !

Il paraît difficile de prétendre que la voie de l’appel est inutile et doit être restreinte. Pareillement, il n’est pas raisonnable de forcer l’exécution provisoire de manière quasi systématique en première instance, ce qui provoque des difficultés de rétablissement de la situation antérieures à l’exécution parfois considérables, voire pratiquement insurmontables.

Il importe par conséquent de préserver l’équilibre du système actuellement en vigueur, qui préserve l’intérêt de l’appel et rend possible, en fonction des données de l’affaire, l’exécution provisoire.

Ce n’est pas en favorisant la rapidité à tout prix et en décourageant les parties de former des recours que l’on améliorera la qualité de la justice rendue.

Me Xavier Chabeuf


06 mai 2018