Recruter un freelance, oui mais…


Recruter un freelance ou avoir recours aux services d’un auto-entrepreneur est une pratique en fort développement particulièrement au sein des petites et moyennes entreprises qui voient dans ce type de collaboration une façon d’éviter les charges et contraintes liées à la conclusion d’un contrat de travail proprement dit. De son côté l’auto entrepreneur peut trouver avantage à la liberté que lui confère ce statut.


L’exercice n’est toutefois pas sans risque car derrière la façade de l’auto-entreprenariat peut se dissimuler un contrat de travail, qui produira rétroactivement tous ses effets en cas de rupture de la relation : la qualification de contrat de travail donne au prestataire la qualité de salarié et à son donneur d’ordre, la qualité d’employeur ; elle rend applicables à leurs rapports les règles du Code du travail.


Dans un contexte contentieux – qui surgira en pratique au moment de la rupture des relations – le salarié ainsi requalifié pourra obtenir par exemple des rappels de salaire, des heures supplémentaires, une indemnité de préavis, de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement abusif.


Il faut donc définir le contrat de travail. L’existence d’un contrat de travail ne dépend pas des actes signés entre les parties ou de la volonté exprimée par elles ; elle dépend des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité du collaborateur. Peu importe la qualification que les parties ont donné à leur relation, il faut s’intéresser aux conditions concrètes d’exécution de la relation, au-delà des apparences et des actes.


Le droit du travail étant d’ordre public, toute clause contractuelle tendant à en évincer l’application est réputée non écrite.
Le contrat de travail se définit comme le contrat par lequel une personne physique s’engage à travailler pour le compte d’une autre personne, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération.


C’est le « lien de subordination » qui permet de différencier le contrat de travail d’autres formes de collaboration rémunérées (contrat de prestation de service, de partenariat, de consultant, de sous-traitance, …) et qui rend applicable le droit du travail.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut en outre constituer un indice de subordination lorsque le collaborateur est intégré à une équipe et utilise des moyens mis à sa disposition (poste de travail, outils de travail, etc. …).


Ainsi, tout dépendra des conditions de travail, qui seront appréciées au cas par cas.


Le récent arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 21 mars 2018 (n° 16-21.466) illustre le rôle du juge en la matière : un auto-entrepreneur fournissait des prestations de « lecteur » (lecture et appréciation des manuscrits) à une maison d’édition. Considérant avoir travaillé dans les conditions d’un contrat de travail, il saisissait le juge d’une demande de requalification, dont la Cour d’appel le déboutait au motif notamment que l’intéressé avait établi des factures tout au long de sa collaboration, qu’il était affilié auprès des organismes sociaux en qualité de travailleur indépendant ; qu’il déclarait ses revenus tous les mois auprès de l’URSSAF, et que la relation de travail était entrecoupée de périodes non travaillées.


A tort, selon la Cour de Cassation, qui estime « Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants et qui ne permettaient pas d’exclure l’existence d’un lien de subordination, la cour d’appel s’est abstenue de vérifier, comme elle y était invitée, si l’intéressé ne justifiait pas d’un lien de subordination tout au long de ses relations contractuelles ».


Me Manuel Dambrin


30 mars 2018