La banque doit mettre en garde la caution non avertie en cas de risque d’endettement de l’emprunteur


La crise est passée par là… Pour encadrer les prêts des banques, le législateur, tant européen que français, multiplie les devoirs d’information, devoirs de mise en garde et autres obligations destinées à protéger le consommateur et même le commerçant profane.

Pour preuve, la directive n° 2014/17/UE sur les contrats de crédit aux consommateurs : « La crise financière a montré que le comportement irresponsable de participants au marché pouvait miner les fondements du système financier, avec une perte de confiance chez toutes les parties, en particulier les consommateurs, et des conséquences économiques et sociales potentiellement graves. »

La Cour de cassation, interprète des règles de droit a abondé dans le même sens de protection de l’emprunteur. C’est ainsi que la cour suprême (Cass. Civ 1ère, 8 juin 2004, n° 02-12.185) a institué le devoir de mise en garde du banquier vis-à-vis du débiteur, sous peine de voir sa responsabilité contractuelle engagée. Si le banquier n’est pas tenu de refuser à l’emprunteur un prêt dépassant ses capacités de remboursement (par exemple, 50 ou 60 %), il doit quand même le prévenir du danger que cette situation représente pour lui… et s’en ménager la preuve (c’est là que le bât blesse, en général).

Pour rappel, un emprunteur non averti doit être mis en garde :

1. si son prêt est inadapté à ses capacités financières , ou

2. si le risque d’endettement du fait de l’octroi du crédit est disproportionné.

L’affaire jugée par la chambre commerciale le 15 novembre 2017 (Cass. com., n° 16-16.790) est banale. Madame Catia X, sortant d’une période de chômage de longue durée s’est lancée dans un projet de thé dansant – restaurant. Elle a créé une société, qui a emprunté 60 000 euros pour acheter un fonds de commerce. La banque a demandé à Madame X de se porter caution à titre personnel. Cette dernière a justifié d’un bien immobilier lui appartenant d’une valeur de 180 000 euros. La banque, satisfaite des conditions financières de la caution, a alors accordé le prêt à la société.

Cependant, la société a fait défaut au remboursement du prêt et la caution a été appelée en garantie.

Mme. X a alors invoqué la violation du devoir de mise en garde du banquier lors de son engagement de caution.

La Chambre commerciale (Cass. com. 3 mai 2006, n° 04-19.315) avait déjà consacré le devoir de mise en garde de la caution profane, en parallèle de l’emprunteur. En effet, la caution devait être avertie si son engagement était disproportionné à sa surface financière. Restait tout de même une ambigüité : la banque devait-elle aussi l’avertir du risque d’endettement de l’emprunteur ? C’est à cette question que la Haute Juridiction s’est attachée à répondre.

La Cour a d’abord pris le temps de constater que Madame X était bien une caution profane, justifiant que « l’opération était vouée à l’échec dès son lancement ». Puis, en vertu de l’article 1147 du Code civil, elle a jugé qu’une caution non avertie devait être mise en garde en cas de « risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation aux capacités financières de l’emprunteur ». Par conséquent, la garante aurait dû être avertie du danger d’endettement de la société emprunteuse.

La Cour de cassation impose ici à la banque une obligation contraire à son intérêt immédiat, qui est d’obtenir la caution d’un bon garant pour « sécuriser » un prêt potentiellement à risque.

Cet avertissement est susceptible de rendre moins probable l’opération dans son ensemble tant la caution risque d’y réfléchir à deux fois avant d’accorder sa garantie à un prêt dont la banque elle-même l’avertit qu’il est « inadapté aux capacités financières de l’emprunteur ». Et d’ailleurs, si tel est le cas, on se demande pourquoi la banque accorde un prêt à un tel emprunteur.

Dans les faits, il est à craindre que les banques ne satisfassent pas au devoir de mise en garde tel qu’institué par l’arrêt ici commenté et prétendent que le prêt accordé n’était pas inadapté aux capacités financières de l’emprunteur.

Les contentieux risquent donc d’être nombreux et il reviendra à la caution souhaitant échapper à son engagement de prouver (i) que le prêt n’était pas adapté à ses capacités financières, (ii) que le prêt était inadapté aux capacités financières de l’emprunteur, (iii) que la banque a manqué à son devoir de mise en garde.

Ajoutons que les contentieux risquent d’autant plus de se multiplier que la jurisprudence est rétroactive, puisque nous vivons dans la fiction juridique que la Cour de cassation ne « dit » pas le droit, mais se borne à l’interpréter. Ignorant qu’elles étaient soumises au devoir de mise en garde de la caution (qui s’ajoutait à celui de l’emprunteur), les banques ne se sont donc pas pliées à une contrainte dont elles ignoraient l’existence…

Dans le cas de l’espèce examinée, Madame X s’est-elle vue attribuée 40 000 euros de dommages-intérêts pour perte de chance de ne pas contracter sur le fondement de la responsabilité contractuelle du banquier. Une belle indemnisation, au vu de la somme de 60 000 euros de crédit octroyé !

Me Xavier Chabeuf et Monsieur Stéphane Scheftsik de Szolnok


19 février 2018