Coup de froid sur le plafonnement des indemnités prud’homales ?
Le plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est désormais inscrit dans le code du travail à l’article L.1235-3 qui prévoit un barème qui varie de 1 à 20 mois de salaire en fonction de l’ancienneté du salarié.
Mais pour combien de temps ?
C’est la question que l’on peut se poser à la lecture de la décision rendue le 8 septembre 2016 par le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS). Ce dernier a en effet condamné le dispositif de plafonnement des indemnités de licenciement injustifié instauré par la législation du travail finlandaise, qu’il a jugé contraire à l’article 24 de la Charte Sociale Européenne (CSE) révisée (CEDS 8 sept. 2016, n° 106/2014, Finnish Society of Social Rights c. Finlande).
Pour invalider la loi finlandaise, le CEDS a rappelé que l’article 24 garantit « le droit des travailleurs, licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ». Le Comité a considéré que ce but est atteint lorsque le dispositif national prévoit le remboursement des pertes financières subies entre la date de licenciement et la décision de l’organe de recours, la possibilité de réintégration ainsi que des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime.
En résumé, l’indemnisation doit répondre à deux fonctions : la compensation du préjudice subi par le salarié et la dissuasion de l’employeur.
En l’occurrence, l’article 2 de la loi finlandaise n° 398/2013 régissant les contrats de travail encadrait l’indemnité de licenciement injustifié en prévoyant un minimum de trois mois et un maximum de vingt-quatre mois de salaire. Dans ses motifs, le CEDS estime que « tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la Charte » et que, en l’espèce « dans certains cas de licenciement abusif, l’octroi d’une indemnisation à hauteur de 24 mois prévue par la loi relative au contrat de travail peut ne pas suffire pour compenser les pertes et les préjudices subis ». Le CEDS condamne finalement la Finlande sur le terrain de la compensation du préjudice subi par le salarié.
Pour autant, le CEDS ne condamne pas par principe le plafonnement, mais à condition qu’il existe des voies de droit alternatives permettant une indemnisation complémentaire du préjudice subi par le salarié : le salarié « doit pouvoir demander réparation pour le préjudice moral subi par d’autres voies de droit » (Décis. du CEDS, 8 sept. 2016, § 46).
Pour défendre sa loi, le gouvernement finlandais exploitait cette voie en faisant valoir qu’une loi n° 412/1974 relative à la responsabilité civile permet de compléter les indemnités de licenciement injustifié par une réparation sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Cependant, le CEDS a constaté que cette loi ne permet que la réparation du préjudice résultant d’un licenciement discriminatoire. Hors cas de discrimination, la loi finlandaise n’ouvre aucune voie de droit alternative au salarié licencié de manière injustifiée.
En somme, la législation finlandaise, selon le Comité, laisse donc « subsister des situations dans lesquelles l’indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi ». Le CEDS décide donc que la législation finlandaise viole l’article 24 de la CSE révisée.
De là à dire que cette décision du CEDS qui condamne la loi finlandaise est transposable à la loi française, il n’y a qu’un pas.
En France, l’indemnisation du licenciement injustifié est doublement limitée par les dispositions de l’ordonnance n° 2017-1387.
D’une part, l’article 2 de l’ordonnance n° 2017-1387 prévoit une indemnité maximale comprise entre 1 mois de salaire brut pour les salariés ayant moins d’un an d’ancienneté et 20 mois de salaire brut à compter de vingt-neuf ans d’ancienneté. Déjà à ce stade la violation de l’article 24 de la Charte par la France est envisageable dans la mesure où le plafond fixé par l’ordonnance est inférieur aux 24 mois de salaire prévus par la loi finlandaise.
D’autre part, en admettant que le salarié perçoive l’indemnité maximale pour licenciement injustifié, l’indemnité est limitée par la règle qui autorise le juge à prendre en compte les « indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture » (art. L. 1235-3). Autrement dit, l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi peut être réduite au nom d’indemnités ayant un autre objet que la réparation de la simple perte de l’emploi.
En outre, concernant le caractère dissuasif de l’indemnité, on peut se demander si le droit français est compatible avec l’article 24 de la CSE révisée. En effet, le gouvernement a mis en place, en novembre 2017, un simulateur des indemnités en cas de licenciement injustifié permettant aux employeurs de vérifier s’ils peuvent ou non prendre le risque de licencier un salarié. Cette possibilité offerte aux employeurs ne paraît guère compatible avec la fonction de dissuasion que doit remplir l’indemnisation de licenciement injustifié du salarié.
Enfin, on cherche vainement (à de rares exceptions près) les voies de droit alternatives en droit français satisfaisant aux exigences du CEDS. Si le droit commun de la responsabilité civile s’applique lorsque le licenciement a été prononcé dans des conditions brutales ou vexatoires, cette indemnisation ne répare pas la perte injustifiée de l’emploi mais le préjudice moral lié à la rupture du contrat. Au sens de la décision du Comité européen, cette action ne peut pas constituer une voie de droit alternative afin de réparer intégralement le licenciement injustifié.
S’il passe le contrôle de constitutionalité, le plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en droit français pourrait ne pas franchir le contrôle de conventionalité, qui vise à assurer la supériorité des engagements internationaux et européens que la France a ratifiés sur les lois et les règlements internes.
Me Manuel DAMBRIN
06 novembre 2017