Le forfait jour sous surveillance


En raison du coût que peut représenter les heures supplémentaires il est parfois tentant pour l’employeur de déroger à la durée légale du travail (35 heures) en recourant au « forfait jour », c’est-à-dire en décomptant le temps de travail en jours et en payant un salaire forfaitaire fixe, quel que soit le nombre d’heures travaillées.


Rappelons que cette modalité de décompte du temps de travail peut concerner non seulement les cadres qui disposent d’une certaine autonomie dans l’organisation de leur travail, mais aussi les non-cadres pour lesquels la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée du fait de la nature de leurs fonctions. Ces derniers doivent toutefois bénéficier, eux-aussi, d’une certaine autonomie dans l’organisation de leur travail.


Mais le recours au « forfait jour » n’est pas forcément la panacée et peut très vite se retourner contre l’employeur s’il n’est pas utilisé dans les règles édictées par la jurisprudence et récemment codifiées par la loi n° 2016-1088, dite « loi Travail », du 8 août 2016.


La sanction ne pardonne pas car si les conditions du recours au « forfait jour » ne sont pas remplies, celui-ci peut être annulé ou déclaré inopposable au salarié, qui aura alors le champ libre pour solliciter le règlement d’heures supplémentaires majorées pour le temps de travail accompli au-delà de l’horaire légal (35 heures).


Il faut évidemment que le « forfait jour » soit inscrit dans le contrat de travail mais cela ne suffit pas.
Il faut surtout, et avant toutes choses, que la possibilité de recourir à une convention de forfait en jours soit prévue par un accord collectif et que cet accord collectif contiennent des stipulations garantissant le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, au sens des dispositions européennes et constitutionnelles.

La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de censurer bon nombre de dispositions conventionnelles – dont certaines ont, depuis, été réécrites par les partenaires sociaux – qui ne garantissaient pas suffisamment le respect effectif de durées raisonnables de travail ainsi que des repos suffisants (Industrie Chimique, Commerce de gros, SYNTEC, …).
Le récent arrêt rendu par la Cour de Cassation le 5 oct. 2017 (n° 16-23.106) illustre cette exigence et la renforce. Dans l’affaire qui a donné lieu à cette décision, l’accord collectif prévoyait les garanties suivantes :


-La saisine hebdomadaire par le salarié de son temps de travail dans le système de gestion des temps ;
-L’établissement chaque mois d’un état récapitulatif du temps travaillé par personne pour le mois M-2 et le remise de cet état à la hiérarchie ;
-Une présentation de ces données chaque année au comité de suivi de cet accord ;
-L’assurance que le repos entre deux journées de travail est au minimum de 11 heures consécutives ;
-Le bénéfice d’un moins une journée de repos par semaine.


La Cour Suprême juge que ces dispositions ne sont pas suffisantes pour garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables, faute de « prévoir un suivi effectif par la hiérarchie des états récapitulatifs qui lui sont transmis, permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ».
Elle déclare en conséquence que les dispositions du forfait jour sont inopposables au salarié.
En pratique, il convient d’organiser un dispositif de contrôle par l’employeur, qui soit assorti d’un dispositif d’alerte de la hiérarchie en cas de difficulté, avec une possibilité de demande d’entretien.


Cette exigence est d’ailleurs consacrée par la loi dite « loi Travail », du 8 août 2016, qui prévoit que « l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail » (art. L. 3121-60 du code du travail) et que l’accord collectif doit comporter « les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié » ainsi que « les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié » (art. L. 3121-64, II du code du travail).
 

Me Manuel DAMBRIN


20 octobre 2017