La « moralisation » sans (contre) les avocats ?


Le 1er juin dernier, le garde des Sceaux a présenté un projet de loi « pour la confiance dans notre vie démocratique » sensé répondre à la défiance de nos concitoyens envers leurs représentants.

Dans une France marquée par un chômage massif et ancien, à la croissance souffreteuse, à la balance commerciale déficitaire, aux comptes publics dégradés, aux prélèvements obligatoires confiscatoires, menacée par le terrorisme, ne sachant plus ni qui elle est ni ce qu’elle a à proposer, la priorité des priorités est d’interdire aux  parlementaires de travailler avec des membres de leur famille, de réformer la Cour de justice de la République et, aussi (mais pas seulement), de supprimer la réserve parlementaire.

La France ne va pas si mal, finalement…

Parmi les mesures de « moralisation » promues par les nouveaux incorruptibles, un serpent de mer refait surface : l’interdiction faite aux avocats d’exercer leur profession en même temps qu’un mandat parlementaire.

Il est en effet prévu qu’il ne sera pas possible de commencer une activité de conseil en cours de mandat ni moins d’un avant la date des élections.

Le dispositif demande manifestement à être clarifié, car rien n’est plus vague que l’exercice d’une « activité de conseil » : le champ peut s’étendre à toutes sortes de professions tertiaires.

L’autre point à préciser concerne le commencement d’une telle activité en cours de mandat ou un an avant la date des élections. Si ladite activité est si  nocive, pourquoi la tolérer si elle a été commencée plus d’un an avant le début du mandat ? Quant à l’interdiction de commencer une activité de conseil  un an avant le début du mandat parlementaire, se traduira-t-elle par l’interdiction pure et simple de se présenter aux élections législatives ou sénatoriales ?

La réflexion sur le dispositif proposé n’a visiblement pas été sérieusement approfondie et confond, ainsi que nous en avons pris désormais l’habitude, légiférer et communiquer.

Mais l’application de ce dispositif aux avocats est plus inquiétante, car je ne connais pas de démocratie qui interdise aux avocats, ardents défenseurs des libertés publiques, de représenter leurs concitoyens.

Cette suspicion à l’égard des avocats trahit un soupçon de corruption à l’égard de l’ensemble de la profession. Elle repose sur l’idée que les avocats ont des clients qui les paient pour soutenir leur cause, et qu’un avocat parlementaire pourrait avoir des clients qui le rémunérerait pour défendre ses intérêts au Parlement.

Théoriquement, cela n’est pas absurde, mais quelqu’un peut-il me citer un seul exemple d’un tel mélange des genres ?

Je n’en connais aucun.

Et si des cas pouvaient être caractérisés, il y aurait lieu d’en alerter les électeurs afin que ceux-ci votent le renouvellement dudit parlementaire en toute connaissance de cause.

Dans le même temps, le Gouvernement n’envisage pas à un seul moment de demander aux fonctionnaires de quitter la fonction publique une fois élus parlementaires, ni aux permanents syndicaux de renoncer à leurs mandats. Il reste également possible d’être salarié et parlementaire, or la statut subordonné du salarié pourrait être considéré comme incompatible avec l’indépendance attendue du parlementaire.

Où est la cohérence ?

Et que dire de la logique qui consisterait à écarter du mandat de législateur ceux qui connaissent le droit et en font leur exercice professionnel ?

Gambetta, Poincaré, Briand, Mendès France, Mitterrand, Badinter, Sarkozy, Cazeneuve, pour ne citer que quelques noms, ont-ils déshonoré la politique ?

Espérons qu’un petit peu de raison viendra tempérer les excès d’une « moralisation » qui risque de se traduire par un réel appauvrissement du personnel politique et par une injustice créée à l’endroit d’une profession qui a fourni tant d’hommes d’Etat à la France.

Me Xavier Chabeuf


06 juillet 2017