L’éternelle contestation du testament par voie d’exception


En matière civile, lorsqu’un justiciable envisage de contester la validité d’un acte juridique de droit privé (contrat, donations, etc), celui-ci dispose en principe de deux possibilités.

La première consiste à saisir directement le juge d’une demande tendant à faire annuler l’acte. On parle de nullité par voie d’action.

La seconde, en revanche, n’intervient que lorsqu’une autre personne saisit le juge et fonde sa demande sur ledit acte. La nullité devient alors un moyen de défense, on parle de nullité par voie d’exception.

Aux termes de l’article 1304 du Code civil, l’action en nullité ne peut être introduite, en principe, que dans un délai de cinq ans à compter du jour où l’acte a été passé (sauf les cas particuliers de violence, dol et d’erreur).

Au-delà de ce délai, l’action est considérée comme prescrite, c’est-à-dire que la validité de l’acte n’est plus contestable et celui-ci ne peut donc plus être remis en cause en saisissant le juge.

En revanche, l’article 1304 du Code civil ne s’applique pas à la nullité soulevée en défense, qui selon une jurisprudence bien établie, est perpétuelle. Elle ne se prescrit donc pas (Cass. , Civ. 1ere, 21 décembre 1982, Bull. Civ. I, n°477 ; Cass, Civ. 1ere, 19 décembre 1995, Bull. Civ. I n°371).

Cette règle propre à la procédure civile peut se résumer par l’adage suivant : « ce qui est éphémère par voie d’action est perpétuel par voie d’exception » (« quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum »).

Pour autant, malgré le caractère apparemment établi de cette solution, la Cour de cassation continue à être régulièrement saisie de la question de savoir si la nullité par voie d’exception est perpétuelle ou non.

C’est ainsi que, dans un arrêt du 14 janvier 2015 (arret), la 1ere Chambre civile a eu à se prononcer pour la première fois sur la nullité d’un testament soulevée en défense.

En l’espèce, deux enfants se prévalaient d’un testament lors des opérations de liquidation-partage de la succession de leur mère tandis que le troisième enfant, lui, contestait la validité de cet acte par voie d’exception.

La Cour d’appel a écarté la contestation de la validité du testament au motif que ce moyen de défense était prescrit depuis plus d’un an.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt d’appel et rappelé que l’exception de nullité est perpétuelle et qu’elle déroge en ce sens aux dispositions de l’article 1304 du Code civil.

Conforme à la jurisprudence de la Haute juridiction, cette décision semble logique à première vue, mais, en réalité, celle-ci soulève quelques interrogations propres à la matière successorale, et plus précisément, au testament :

–          D’une part, à la différence de l’exception de nullité soulevée à l’égard d’un acte passé par l’une des parties au litige, il s’agit, dans l’arrêt commenté, de contester la légalité d’un testament, qui est un acte unilatéral établi par un tiers, en l’occurrence le défunt, dans tout ce qu’il y a de plus personnel.

Cette remise en cause tardive de la volonté exprimée du défunt, sujette à interprétation et parfois fondée sur des preuves très anciennes, est source de contentieux.

La difficulté de la solution retenue est particulière dans le cas de l’espèce puisque la nullité se fondait sur l’insanité d’esprit de la défunte, autrement dit sur son incapacité physique et mentale à conclure des actes au moment où elle rédigeait ses dernières volontés.

Or la question de la preuve de l’état des facultés d’une personne au moment où un acte a été passé, et dont le décès remonte à plusieurs années, est bien évidemment délicate.  

–          D’autre part, le principe de la perpétuité de la nullité par voie d’exception a pour conséquence le rallongement des procédures, déjà très longues en matière successorale, et met les héritiers avantagés par un testament à la merci de l’hériter « défavorisé ».

En effet, pendant les cinq premières années, cet héritier peut engager une action directe en nullité du testament, laquelle peut ensuite être soulevée perpétuellement par le seul héritier défavorisé, qui occupe la position de défendeur à l’action.

Ainsi, l’héritier « défavorisé » est particulièrement bien loti pour nuire à leurs intérêts et bloquer la liquidation de la succession.

Cette solution, certes conforme au droit, n’est pas de bonne politique : une fois un testament connu et porté à la connaissance de tous les héritiers, un délai de cinq années apparaît largement suffisant pour que chacun fasse état de ses doutes quant à sa validité et émette les contestations qui lui semblent utiles.

Passé ce délai, la prescription devrait reprendre ses droits, et la liquidation de la succession intervenir sans que l’argument de la nullité éventuelle du testament puisse être soulevée ad vitam aeternam.

Telle n’est cependant pas la solution applicable, malheureusement.

Me Xavier Chabeuf


04 août 2015