On est fait comme des rats !


Nous connaissons bien le paradoxe de notre société démocratique : ses valeurs de respect de la vie privée, de libre détermination des choix personnels, de neutralité des processus économique (droit de la concurrence) et politique (raffinement du droit électoral) sont confrontés chaque jour à des intrusions étatiques et privées qui tendent à vider de leur sens les proclamations enflammées de défense des valeurs affichées.

La tartufferie a de l’avenir, de Mark Zuckerberg à Manuel Valls.

En matière financière et bancaire, il est bien établi que nulle zone d’ombre ne saurait résister à la bienveillante inquisition étatique, qui s’est vu reconnaître un droit absolu de ne rien ignorer de nos revenus, de notre patrimoine, de nos habitudes de consommation, de nos déplacements, des personnes que nous fréquentons, etc…

Nous avons abdiqué notre liberté en contrepartie d’un bien-être prétendûment supérieur.

Face à l’Etat, le Citoyen est nu.

L’idée n’est pas de revenir sur cette évolution, sans doute nécessaire dans une société aussi complexe que la nôtre : qui peut garantir que si l’ordre étatique ne régnait pas, la France ne transformerait pas rapidement en gigantesque Rwanda modèle 1994 ?

Et plus prosaïquement, il faut bien, à partir du moment où une contribution collective est levée que, pour reprendre les termes de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, elle soit « également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés » et que nul n’y échappe.

C’est dans cet esprit que le Gouvernement, dans la loi n° 2013-117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a instauré des sanctions à l’obligation faite aux administrations, établissements et autres personnes qui reçoivent en dépôt des valeurs mobilières, titres ou espèces, de déclarer l’ouverture et la clôture des comptes (articles 1649 A et 1649 A bis du Code général des impôts). Le nouveau texte sanctionne d’une amende de 1.500 euros chaque défaut de déclaration et d’une amende de 150 euros chaque omission ou inexactitude. 

La dénonciation, stade ultime de la vie citoyenne.

Cette disposition complète celles du deuxième alinéa de l’article 1649 A du Code général des impôts, en vertu duquel les personnes physiques, les associations, les sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger selon des modalités fixées par décret.

Deux observations finales concernant ce dispositif :

1 – Pour ceux qui l’ignoraient encore, il est clair que dissimuler un compte bancaire à l’Etat ouvert en France en 2014 relève de l’utopie la plus pure.

2 – Les déclarations effectuées par les administrations et banques dans le cadre de l’article 1649 du Code général des impôts alimentent le fichier FICOBA, ce qui est loin d’être dénué d’intérêt pratique.

Ledit fichier enregistre plus de 80 millions de personnes qui ont un compte bancaire ouverte en France et recense plus de 100 millions de comptes bancaires au totalL

Géré par la Direction général des finances publiques du Ministère des Finances, il peut être consulté par les services judiciaires, de policie, douanier, fiscaux, …

Plus intéressant, les huissiers de justice y ont accès lorsqu’ils sont chargés par le créancier de former une demande de paiement direct (pension alimentaire), ou lorsqu’ils agissent aux fins d’assurer l’exécution d’un titre exécutoire. Il s’agit donc d’un moyen puissant permettant d’assurer l’exécution des décisions de justice en ayant connaissance de tous les comptes bancaires du débiteur (même si le solde bancaire et les opérations effectuées restant quant à eux inaccessibles).

En matière successorale, il peut être opportun de le consulter pour connaître l’ensemble des données concernant un défunt. Pour ce faire, un héritier devra obtenir une décision d’un juge l’autorisant expressément à accéder au fichier FICOBA.

Ainsi, les mesures nouvellement adoptées, pour intrusives qu’elles puissent paraître, renforceront en fin de compte les outils à la disposition des avocats pour faire exécuter les décisions de justice et leur conférer une meilleur efficacité.

On ne peut que s’en féliciter.

Me Xavier Chabeuf


29 mars 2014