Donner ou léguer à un ami médecin, c’est possible !


Le vieillissement de la population française engendre des conséquences lourdes en matière de retraite et de santé publique.

Il implique aussi la mise en place d’outils juridiques adaptés pour prendre en compte l’incapacité physique ou mentale dans laquelle se trouvent nombre des personnes concernées pour gérer leurs propres affaires et leur patrimoine.

Il en va plus particulièrement ainsi en matière de succession, du fait de la situation de faiblesse et de dépendance dans laquelle se trouve fréquemment les personnes âgées, vis-à-vis de membres de leur entourage familiale, mais aussi fréquemment de tiers à la famille qui occupent une place d’autant plus grande que les enfants des personnes âgés sont peu présents.

Chacun a en tête des exemples d’aides ménagères ou de « gentil voisin » couchés sur le testament ou bénéficiaire de généreuses donations.

Et d’ailleurs, pourquoi pas ? Si la liberté de tester n’est pas totale, elle demeure pour partie, et toute la question est de savoir si la donation ou les dispositions testamentaires résultent d’une volonté saine et éclairée.

Un régime spécial est cependant prévu à l’article 909 du Code civil pour « les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ».

Ces derniers ne peuvent profiter d’aucune donation de la part de la personne suivie, ni être désignés en qualité d’héritier.

Cette incapacité voit son champ étendu aux proches du médecin par l’article 911 du Code civil qui indique que « [t]oute libéralité au profit d’une personne physique, frappée d’une incapacité de recevoir à titre gratuit, est nulle, qu’elle soit déguisée sous la forme d’un contrat onéreux ou faite sous le nom de personnes interposées, physiques ou morales. »

L’article 909 du Code civil constitue donc une exception au principe général édicté à l’article 902 du Code civil suivant lequel « [t]outes personnes peuvent disposer et recevoir soit par donation entre vifs, soit par testament, excepté celles que la loi en déclare incapables ».

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A ce titre, elle doit être appliquée strictement, ce que vient de rappeler la première chambre civile de la Cour de cassation :

« les juges du fond apprécient souverainement la qualité de médecin traitant et les éléments constitutifs d’un traitement médical au sens de l’article 909 du code civil» (Cass., 1ère civ., 15 janvier 2014,  pourvoi n° 12-22.950 : Arret).

Au cas présent, un médecin, son épouse, et ses trois enfants ont perçu du défunt des donations et legs à hauteur de 1,3 million de dollars. Le neveu du disposant demandait leur nullité sur le fondement de l’article 909 du Code civil précité.

Les juges du fond l’ont débouté, motif pris qu’il n’était pas acquis que le légataire ait administré un quelconque traitement au défunt dans le cadre de sa maladie fatale et qu’au contraire il n’est « intervenu que de manière ponctuelle, en exécution d’une décision prise par l’un des deux médecins en charge du traitement ».

Le neveu du disposant a formé un pourvoi à l’encontre de cet arrêt et la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel, jugeant qu’elle avait justement écarté la qualité de médecin traitant du bénéficiaire des donations et legs (i.) ainsi que l’existence d’un traitement médical (ii.).

(i)                 L’éviction de la qualité de médecin traitant : l’apparition des liens personnels

Pour la Cour suprême, en mettant en évidence les « liens affectifs anciens et profonds qui unissaient [le bénéficiaire] au malade », la Cour d’appel a légalement écarté la qualification de médecin traitant.

En effet, le défunt et le bénéficiaire étaient notoirement proches : tous deux Libanais, ils entretenaient des relations très étroites, sur le plan politique et amical, le légataire ayant fait partie du même parti politique que le défunt.

Il n’y a pas de raison de penser qu’il en irait autrement des « membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux » visés par la nouvelle version de l’article 909 du Code civil issue de la loi du 5 mars 2007, l’existence de liens personnels et la qualité en laquelle les personnes concernées sont intervenues auprès du disposant devant être prises en considération pour décider de l’incapacité à recevoir par donation ou testament.

(ii)               Défaut de « traitement médical » en présence d’une intervention ponctuelle

Le bénéficiaire  « avait procédé à un examen clinique [du défunt] et(…) le 5 avril 2000, il lui avait fait son injection quotidienne ».

Pour écarter cependant la qualification de traitement médical, la Cour d’appel a relevé « qu’un examen clinique ne s’analyse pas en un traitement médical et que l’injection quotidienne pratiquée résultait d’une prescription émanant [d’un tiers], de sorte qu’il y a lieu de retenir que [le bénéficiaire] n’est intervenu que de manière ponctuelle, en exécution d’une décision prise par l’un des deux médecins en charge du traitement [du défunt] ».

Cette solution doit être approuvée : un examen clinique unique et une seule injection effectués par un ami médecin ne sauraient disqualifier ce dernier pour recevoir par donation ou testament, dans la mesure où le praticien en question n’a pas prodigué au défunt « des soins réguliers et durables pendant la maladie dont il est décédé ».

La solution de l’arrêt commenté est heureuse en ce qu’elle interprète strictement  l’interdiction de bénéficier de dispositions entre vifs ou testamentaires. La liberté de donner et partant de recevoir doit en effet demeurer le principe et la nullité des aliénations librement consenties, l’exception.

Me Xavier Chabeuf


14 mars 2014