Quand l’indemnisation n’implique pas forcément d’avoir subi un préjudice
Selon l’un des principes fondamentaux applicables en droit de la responsabilité, une faute n’entraîne la responsabilité de son auteur que si elle est la cause d’un préjudice dont il appartient à la victime de démontrer l’existence et la consistance.
Mais le droit du travail s’affranchit parfois des principes fondamentaux.
Pendant un temps, selon une approche davantage punitive qu’indemnitaire, la Cour de cassation a considéré que certains manquements de l’employeur causaient « nécessairement » un préjudice au salarié, ce qui revenait à dispenser ce dernier de prouver l’existence d’un préjudice pour être indemnisé. Ainsi en allait-il d’une clause de non-concurrence nulle, de la remise tardive de documents de fin de contrat, de l’absence de mention de la convention collective sur les bulletins de paie, ou encore du défaut de la mention de la priorité de réembauchage dans la lettre de licenciement pour motif économique.
Puis, devant l’allongement sans fin de la liste des « préjudices nécessairement causés », par un arrêt du 13 avril 2016 (n°14-28.293) la Cour de Cassation était revenue à l’orthodoxie juridique en posant que « l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ; que le conseil de prud’hommes, qui a constaté que le salarié n’apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision [de débouté] ».
Mais chassez le naturel, …
Comme le montre l’affaire tranchée le 26 janvier 2022 (n° 20-21.636) la Cour de cassation introduit une exception à la nécessité pour le salarié de justifier d’un préjudice, dans le domaine du temps de travail.
En l’espèce, un chauffeur-livreur avait demandé aux juges de condamner son employeur à lui verser des dommages-intérêts pour violation de la durée maximale du travail hebdomadaire (laquelle ne doit pas dépasser 48 h sur une semaine civile). Or, le salarié avait travaillé 50,45 heures durant la semaine du 6 au 11 juillet 2015.
Les juges du fond (Cour d’appel) avaient refusé de l’indemniser pour ce dépassement car il n’avait pas prouvé « très exactement en quoi ces horaires chargés » lui avaient été préjudiciables (nous ne parlons pas ici du paiement des heures supplémentaires en tant que telles mais bien d’une indemnisation pour le dépassement du temps de travail autorisé).
A tort, selon la Cour de Cassation, pour qui « le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation ».
Il est vraisemblable que ce raisonnement va faire s’étendre à tous les contentieux liés aux règles de la durée du travail garantissant la sécurité et la santé des salariés (ex. : temps de pause, travail de nuit, congés, etc…), dont le non-respect suffira à entrainer une indemnisation, sans que le salarié ait à rapporter la preuve d’un préjudice.
Me Manuel Dambrin
02 février 2022