« Salariat déguisé »
En France, le contrat de travail est la forme de collaboration la plus répandue permettant à une personne de s’engager à mettre son activité à la disposition d’une autre, moyennant rémunération.
Ce n’est toutefois pas la seule : il est possible de mettre son activité à la disposition d’une personne ou d’une entreprise, contre rémunération, sans être liée à cette dernière par un contrat de travail. C’est le cas du travailleur indépendant, du prestataire de service, du sous-traitant, du gérant, de l’associés, de l’autoentrepreneur, etc…
Ce qui distingue le salariat de toutes les autres formes de collaboration, c’est le lien de subordination qu’implique le contrat de travail, c’est à dire pas seulement l’exécution d’un travail, mais l’exécution d’un travail « sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (définition du lien de subordination selon la jurisprudence).
L’enjeu de la distinction est essentiel : le salarié bénéficie d’un régime protecteur de ses intérêts durant l’exécution et jusque longtemps après la rupture de la relation, auquel les autres formes de collaboration n’ouvrent pas droit (contrôle du temps de travail, hygiène et sécurité, rémunération minimum, transfert du contrat en cas de changement d’employeur, indemnité de licenciement, droit aux allocations chômage, retraite…).
C’est pourquoi il existe un abondant contentieux dit de la « requalification », consistant pour des prestataires ou des travailleurs indépendants à faire requalifier par le juge le contrat les liant ou les ayant liés au bénéficiaire économique de leurs prestations, afin d’en tirer les conséquences.
Celles-ci peuvent être multiples et redoutables du fait de la rétroactivité qui s’y attache (heures supplémentaires si le temps de travail a excédé 35 heures hebdomadaires, travail dissimulé, indemnité de licenciement si la collaboration a cessé, dommages et intérêts pour licenciement abusif, etc…).
Ce contentieux se nourrit du caractère d’Ordre public du droit du travail et du principe jurisprudentiel qui en découle, selon lequel l’existence d’un contrat de travail ne dépend pas de la qualification que les parties ont donné à leur relation, ni même de leur volonté, réelle ou supposée, mais uniquement des conditions de fait dans lesquelles est exercée la prestation de travail.
Autrement dit : aucune renonciation à l’application du droit du travail n’est légalement possible.
D’un « coup de baguette magique », le juge pourra ainsi requalifier en contrat de travail, toute autre forme de collaboration, dès lors qu’il constatera que le travail a été exécuté dans le cadre d’un lien de subordination, celui-ci étant caractérisé par la technique dite du « faisceau d’indices ».
Tous les secteurs d’activité sont concernés par ce « salariat déguisé », des conférenciers aux chauffeurs de taxi, en passant par les architectes, sans oublier les artisans dûment inscrits au répertoire des métiers, et même les avocats collaborateurs.
C’est ainsi par exemple qu’a été requalifié en contrat de travail le contrat de prestations conclu entre une graphiste et une maison de couture, la Cour d’appel ayant constaté qu’il résultait des mails échangés que la dirigeante lui donnait des directives et encadrait son travail, ajoutant que l’intéressée travaillait dans les locaux de l’entreprise, avec les moyens procurés par celle-ci, et facturait chaque mois pour des montants équivalents avec une régularité évocatrice d’une relation salariale (Cour d’appel de Paris, 1er octobre 2014, n°12/04332).
Me Manuel Dambrin
20 mai 2021