Le dirigeant peut engager sa responsabilité en remboursant son compte courant d’associés


Le principe est bien établi (cf. Nment : Cass., 3ème civ., 3 mai 2018, n° 3 mai 2018) selon lequel les comptes courants d’associés peuvent et doivent être remboursés immédiatement et sur simple demande (hors dispositions contraires dans les statuts de la société ou dans une très utile convention d’apport en comptes courants).

Dans un arrêt du 24 mai 2018 (Cass. Com., 24 mai 2018, n° 17-10.119), la Cour de cassation a émis un tempérament d’importance en indiquant que ce principe doit s’effacer devant celui d’égalité des créanciers.

Il faut dire que les circonstances ayant donné lieu à l’arrêt étaient particulières.

Le 7 décembre 2010, la société fut condamnée à payer une somme de 166.269 euros aux termes d’une décision définitive qui ne fut signifiée par huissier de justice que le 20 décembre 2010.

Entre temps, les 10 et 15 décembre 2010, le dirigeant de la société, qui cumulait la triple qualité de détenteur du principal compte courant, d’associé et de dirigeant, décida du remboursement de son propre compte courant, à hauteur de 100.000 euros puis déclara, le 9 janvier 2011, l’état de cessation des paiements de la société, laquelle fit l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire le 19 janvier 2011 !

La manœuvre consistait évidemment pour le dirigeant à appréhender directement les sommes qu’il avait prêtées à la société afin d’éviter de voir leur remboursement conditionné au résultat d’une liquidation judiciaire qu’il savait inéluctable (avec une probabilité très forte de non remboursement ou de remboursement partiel).

Bien inspiré, le liquidateur judiciaire assigna alors le dirigeant en responsabilité pour insuffisance d’actifs, considérant qu’il avait commis une faute de gestion en remboursant son compte d’associés, ce qui aboutit à sa condamnation à hauteur de la somme dont il avait décidé de la restitution.

Pour la Cour de cassation, « si les associés ont droit au remboursement à tout moment de leur compte dit courant, c’est à la condition que ce remboursement ne constitue pas un paiement préférentiel au détriment des créanciers de l’entreprise » alors que le dirigeant « savait inéluctable la déclaration de cessation des paiements » et « tandis qu’il connaissait le risque de devoir une somme aux époux auxquels les opposait une instance judiciaire ».

Le principe de remboursement des comptes courants d’associés demeure, donc, mais il y est porté une limite lorsque le dirigeant, pleinement informé de la situation de trésorerie de la société et du risque pesant sur elle, privilégie ses propres intérêts de créancier pour faire échec à l’application d’une décision de justice et, plus largement, privilégie ses intérêts à ceux d’autres créanciers légitimes.

Le sauve-qui-peut du dirigeant est sanctionné : lorsque le navire sombre, le capitaine reste à la barre sans partir dans la première chaloupe disponible.

Me Xavier Chabeuf


31 mai 2019