La protection du secret des affaires : à suivre…
Depuis la loi du 30 juillet 2018, le le secret des affaires, entendu comme la protection d’informations économiques et techniques confidentielles des entreprises, est protégé en droit français. Ce texte transpose en droit français une directive communautaire du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales.
L’idée de la protection est que les entreprises disposent de « secrets » qu’elles ne souhaitent pas voir divulgués à leur concurrent et au grand public : données commerciales ou financières, organisation de l’entreprise, informations relatives aux clients ou au marché, aux prix pratiqués, plans et stratégies de développement.
L’article L. 151-1 du code de commerce définit l’information protégée comme étant celle qui n’est pas librement accessible, « revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle », « fait l’objet de son détenteur légitime de mesures de protections raisonnables ».
Cette belle idée sera cependant d’application concrète difficile :
D’une part, la définition d’une information « secrète », donc protégée par l’entreprise, devra être circonscrite par la jurisprudence et il faut donc s’attendre à des années d’incertitude avant que les contours de la notion ne soient stabilisés ;
D’autre part, l’article L. 151-4 du code de commerce considère comme illicite l’obtention du secret réalisée sans le consentement de son détenteur légitime ou résultant d’un accès non autorisé, ou lorsque la personne savait ou aurait dû savoir que le secret avait été obtenu d’une personne qui avait divulgué le secret de manière illicite : si les deux premiers cas résultent d’une violation claire, le troisième l’est beaucoup moins, lorsque le secret est « de seconde main » et qu’il faudrait savoir qu’il n’aurait pas dû être communiqué ;
Enfin, les limites au secret des affaires sont nombreuses : la liberté d’expression et la liberté d’information (Elise Lucet pourra continuer à dévoiler les pratiques « condamnables » de certaines grandes entreprises), l’activité des « lanceurs d’alerte » visant à protéger l’intérêt général ; la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national (vaste catégorie fourre-tout permettant de limiter le nouveau droit dans des proportions significatives).
Mais l’inconnue majeure reste, notamment pour l’avocat pratiquant le contentieux commercial, de savoir si ce nouveau secret limitera sa liberté d’action !
En l’absence d’une procédure de Discovery comparable à ce qui existe aux Etats-Unis, la prime revient souvent en France à la partie qui saura le mieux résister à la communication des pièces nécessaires à la résolution du litige. Les pièces qui ne vont pas dans le sens de son argumentation, cela s’entend. Et le secret des affaires était déjà bien souvent brandi par une partie pour faire obstacle à la demande d’injonction de communiquer des pièces formulée auprès du juge, avec des fortunes diverses.
Qu’en sera-t-il demain ? Suffira-t-il d’invoquer le secret des affaires pour empêcher une partie tierce à la société d’avoir accès à des documents internes à celle-ci (ancien salarié, concurrent, fournisseur, banquier, …) ?
Ce serait par trop facile, mais l’on peut d’ores et déjà prédire que les plaideurs auront à cœur de tester les limites de cette nouvelle notion.
L’article L. 153-1 a bien prévu un dispositif supposé concilier exercice des droits de la défense, accès au Tribunal et respect du secret des affaires, mais ses dispositions byzantines apparaissent naïves et contradictoires :
« Lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :
1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;
2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;
3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;
4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires ».
Or le principe du contradictoire et son corollaire, la discussion par chacune des parties des pièces produites par l’autre partie à l’appui de son argumentation, s’opposent radicalement à ce que certaines pièces produites soient cellées à la partie adverse pour être réservées au juge, ou encore soient tronquées ou interprétées par un tiers.
Quant à décider que les débats aient lieu en chambre du conseil, c’est signifier qu’il n’y a pas de secret des affaires, car celui-ci aura été communiqué à la partie adverse et l’essentiel des échanges entre les parties devant le tribunal s’effectue par écrit.
Bref, il est à craindre que cette reconnaissance d’un secret des affaires en droit français ne constitue qu’un progrès bien illusoire.
Me Xavier Chabeuf
08 janvier 2019